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Maxime Chattam – 8,2 secondes

Par Yvantilleuil

Maxime Chattam secondesAvec « 8,2 secondes », Maxime Chattam, le maître du thriller psychologique, passe de l’angoisse à l’intime car les 8,2 secondes sont le temps qu’il faut pour tomber amoureux et n’ont donc rien d’un compte à rebours mortellement haletant. Entre New York et les grands lacs de la frontière canadienne, l’auteur nous entraîne dans une double intrigue, portée par deux héroïnes que tout oppose… ou presque.

La première, Constance, scénariste meurtrie par un drame familial, s’isole dans le chalet de son enfance pour affronter ses démons et décider de son avenir. La seconde, May, inspectrice new-yorkaise, est lancée sur la piste d’un tueur en série surnommé « le Grand Méchant Loup », tout en luttant contre ses propres blessures. Deux trajectoires parallèles, deux femmes en quête de sens, un fil invisible qui les relie et les menace. Le roman alterne entre leurs voix, leurs doutes, leurs peurs, jusqu’à ce que le destin les rattrape.

Ce qui frappe d’emblée dans « 8,2 secondes », c’est la construction narrative. Chattam orchestre une alternance subtile entre les chapitres consacrés à Constance et ceux dédiés à May. Ce montage parallèle, presque cinématographique, crée un rythme singulier : l’ambiance feutrée et introspective du chalet contraste avec la tension urbaine et nerveuse de New York. L’auteur joue habilement sur les temporalités, les ruptures de ton et installe une mécanique de suspense qui ne cesse de monter en intensité.

Je trouve cependant que la partie centrée sur le chalet, malgré son atmosphère pesante et introspective, s’étire parfois en longueur. Chattam y privilégie l’introspection, la lenteur et dissèque la douleur du deuil avec une minutie parfois pesante. Si cette plongée dans les abîmes de la solitude fascine par moments, elle peut aussi laisser le lecteur sur la réserve, tant l’action semble suspendue, en attente d’un événement qui tarde à venir. L’intensité y faiblit, la tension s’effiloche et l’on se surprend à attendre le fameux twist qui viendra tout relancer. Ce choix, assumé par Chattam, pourra dérouter les amateurs de thrillers plus nerveux car la dimension « page-turner » s’efface au profit d’une lenteur presque contemplative, où l’on scrute davantage les états d’âme que les indices.

D’un autre côté, c’est précisément cette attente qui prépare le terrain pour la bascule narrative. À mesure que l’intrigue progresse, la tension s’accumule et l’alternance avec les chapitres consacrés à May, plus rythmés et ancrés dans la réalité policière new-yorkaise, vient relancer l’intérêt. Lorsque le twist survient enfin, il agit comme un électrochoc : tout ce qui paraissait figé prend soudain une nouvelle dimension et le roman retrouve l’énergie et la densité émotionnelle qui font la marque de Chattam.

Si certains lecteurs regretteront une tension moins frontale que dans les précédents Chattam, la sobriété et la maturité de l’écriture apportent une densité nouvelle. Loin des artifices, l’auteur privilégie l’intime, le doute et la perception, pour un thriller qui interroge autant qu’il captive. La psychologie des personnages est d’ailleurs disséquée avec finesse : Constance, suspendue entre vie et mort, affronte le deuil et la solitude dans une atmosphère pesante, tandis que May, animée par la justice et la peur, se débat dans une enquête où chaque détail compte. Chattam explore la fragilité humaine, la résilience et la manière dont le passé façonne le présent.

De plus, il faut le dire, la dimension « thriller » s’efface régulièrement derrière l’histoire d’amour qui s’invite dans le récit. Ce choix, qui apporte une touche d’humanité et de douceur, pourra séduire ou frustrer selon les attentes : l’enquête et la traque du Grand Méchant Loup passent au second plan, reléguées derrière les tourments intérieurs et les élans du cœur. Un parti pris qui distingue ce roman des précédents opus de l’auteur, mais qui n’emportera pas forcément l’adhésion de tous les lecteurs.

D’ailleurs, si l’on attendait une révolution du genre, il faudra tempérer ses espoirs : « 8,2 secondes » reste un thriller classique dans sa structure, parfois prévisible dans ses ressorts et ne bouleverse pas non plus les codes du suspense psychologique. Chattam maîtrise son art, certes, mais ne le réinvente pas… il s’appuie sur des ficelles éprouvées, préférant la solidité à l’audace.

Reste néanmoins le twist narratif qui, sans rien révéler, demeure un véritable tour de force. L’auteur distille les indices avec parcimonie, manipule les attentes du lecteur et réserve une révélation qui recontextualise l’ensemble du roman. Ce retournement, loin d’être gratuit, donne tout son sens au titre et à la structure du récit. On referme le livre avec le sentiment d’avoir été pris à contre-pied, bouleversé par la maîtrise du suspense et la profondeur émotionnelle.

8,2 secondes, Maxime Chattam, Albin Michel, 399 p., 22,90 €

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