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Chronique d'un désastre architectural

Par Nicolas Creisson
Chronique d'un désastre architecturalToute la ville est en émoi !
Quelques pierres se sont détachées du balcon de la porte d'entrée du Palais comtal, du côté de la place des Prêcheurs. L'une d'elle a brisé la cuisse d'un pauvre homme qui était là par hasard.
Nous sommes au mois d'août 1775, à Aix-en-Provence.
La rumeur gronde... Et si cet accident était prémédité ?
La suite de l'histoire le laisse penser...
Jugez plutôt :
En, mars 1776 le Parlement de Provence délibéra d'abandonner ce palais « en ruine » et transfère ses séances dans le couvent des dominicains. Celles du tribunal de la sénéchaussée déménage au collège BOURBON (l'actuel collège Mignet)
Mais pourquoi ces magistrats voulaient-il fuir ces lieux, craignaient-ils réellement la menace de la ruine ?
L'histoire retiendra que cette délibération fut prise en haine du parlement Maupeou.
Les hauts magistrats de la ville ne voulaient plus siéger dans un palais qui avait été occupé par ceux qu'ils considéraient comme des intrus...
C'est donc la fierté de cette noblesse Provençale qui est à l'origine du désastre.
Ce "Palais des comtes de Provence et des Cours souveraines" était en grande partie l'ouvrage des romains, édifié à une époque incertaine.
Nous savons que deux tours (tour du Trésor et tour du Chaperon), dataient du temps de Marius, général romain bien connu des Aixois pour avoir vaincu, en 102 avant J.-C, l'armée teutonne installée sur les bords de l'Arc, à quelques kilomètres d'Aix-en-Provence. (Dans une grande bataille, dont le lieu reste toujours un mystère, les Teutons sont massacrés. Plutarque raconte que le nombre des morts est tel « que l'on peut voir plusieurs années après les habitants de la plaine enclore leurs vignes avec des haies faites d'ossements humains »).
Ces deux tours servaient de défense à la porte principale de la ville. Entre elles, cheminait la voie romaine (l'actuel souterrain qui relie les deux palais est construit sur cette voie. Des pierres monumentales témoignent de cet ouvrage).
L'une de ces tours abritait le cachot de Saint mitre (accusé de sorcellerie, il avait été enfermé, avant d'être décapité dans la cour du prétoire. On raconte qu'il ramassa alors sa tête, la serra contre sa poitrine et la porta jusqu'à l'autel de l'église de Notre-Dame de la Seds dont il devait devenir le patron, avant d'expirer).
La troisième, la Tour de l'Horloge était un mausolée élevé à trois patrons de la colonie, vers le milieu du II ème siècle.
Les comtes de Provence avaient bâtis autour de ces trois tours un vaste palais qui leur servait de demeure.
Ils y établirent le siége de toutes les juridictions de la Provence et les rois de France y fixèrent la résidence des grands corps de magistrature (Parlement de Provence, la Cour des Comptes, Aides et Finances, le Bureau des Trésoriers-généraux de France et tribunal de la Sénéchaussée).
Mais revenons à la destruction de ces monuments, antiques témoignages de la grandeur romaine.
Elle fut résolue et terminée en 1786. Louis XVI ordonna alors la construction d'un nouveau palais sur l'emplacement de l'ancien.
Le nouveau palais devait être plus beau, plus grandiose, plus que l'ancien. Le projet fut confié à Nicolas Ledoux.
Les plans initiaux témoignent du prestige de ce Palais, d'un style néoclassique.
Mais la révolution fit suspendre les travaux pendant plus de trente ans, Ledoux étant accusé de pousser le Trésor à des dépenses inconsidérées.
C'est ainsi qu'une génération d'aixois a connu un champ de ruines au centre de la ville.
Le superbe palais ne verra jamais le jour.
Le palais actuel, élevé sur les fondations commencées en 1786, n'a en effet plus rien à voir avec le faste annoncé. Ce simple cube, orné de sept colonnes, est beaucoup plus petit. Il est vrai que cette capitale d'une grande province n'était plus qu'un chef-lieu de sous-préfecture.
Mais la place vint bientôt à manquer.
On érigea alors un étage. On déménagea les tribunaux, ne laissant sur place que la Cour d'appel. On déménagea encore les chambres sociales. Puis on transforma la prison en un deuxième palais. Enfin, ce furent une fois encore les chambres sociales qui durent s'exiler...
A l'heure de la réforme de la carte judiciaire, Aix conserve la deuxième Cour d'appel de France, mais la démolition guette notre Tribunal de Grande Instance.
Comme en 1786, il a été présenté aux aixois un projet d'architecture tout à fait grandiose.
Mais l'heure est à l'économie et l'on commence à murmurer que le projet sera modifié, les dimensions étant revues à la baisse...

Note :
Les détails historiques proviennent de l'ouvrage « Les rues d'Aix » de Roux Alphéran (1846). Un livre de référence qui n'est, malheureusement, plus édité. Cet article est également en ligne ici.
Les illustrations sont ici.

Publié par Nicolas CREISSON


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