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"Mme de Clèves et moi, c'est du sérieux!"

Par Lebibliomane

"La princesse de Clèves" Mme de La Fayette. Roman. LGF, 1973.

Vous l'avez sûrement remarqué, « La princesse de Clèves » de Mme de La Fayette, oeuvre romanesque emblématique de la littérature française du XVIIème siècle, a été à plusieurs reprises prise pour cible par notre caudillo en talonnettes qui, en citant ce roman, avoue implicitement ce que l'on savait déjà : son mépris pour la culture.
Fer de lance et icône des Bo-beaufs, cette nouvelle engeance de crétins qui n'ont d'autre valeur que celle du porte-monnaie, notre président s'est en effet fendu de quelques piques (qui ne font rire que lui et un parterre de lèche-bottes trié sur le volet) à l'encontre de ce texte qui, rappelons-le, incarne un tournant décisif dans l'histoire de la littérature française.
Petit retour sur les déclarations du principicule de Neuilly-sur-Seine, au cas où vous n'en auriez pas eu connaissance :
Tout commence le 23 février 2006 à Lyon devant un parterre de militants UMP :
« L'autre jour, je m'amusais, on s'amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d'attaché d'administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d'interroger les concurrents sur La princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu'elle pensait de La princesse de Clèves...Imaginez un peu, le spectacle ! »
Le 4 avril 2008, à Bercy, dans une déclaration portant sur la modernisation des politiques publiques et de la réforme de l'état, il déclare :
« C'est tout ce que nous engageons [...]sur la mobilité, sur la reconnaissance du mérite, sur la valorisation de l'expérience, sur la possibilité pour quelqu'un d'assumer sa promotion professionnelle sans passer un concours ou faire réciter par coeur La princesse de Clèves ! Ça compte aussi dans la qualité de vie d'un fonctionnaire. »
Puis c'est enfin devant les bénévoles d'un centre de vacances de Loire-Atlantique en juillet 2008, qu'il récidive :
« Avoir fait du bénévolat devrait être une expérience reconnue par les concours administratifs car après tout, ça vaut autant que de savoir par coeur la princesse de Clèves...Enfin, j'ai rien contre, mais enfin, mais enfin...parce que j'avais beaucoup souffert sur elle. »
Et voilà, la phrase est lâchée : « Parce que j'avais beaucoup souffert sur elle » et l'on imagine déjà notre président-potache, à l'âge de l'acné et des pollutions nocturnes, suant sang et eau sur le texte de Mme de La Fayette, béant d'incompréhension devant tant de subtilité narrative et psychologique, plus habitué à la prose d'Hervé Villard et Johnny Halliday qu'à celle du Grand Siècle.
Car, en effet, « La princesse de Clèves » n'est pas une oeuvre facile ni un roman d'amour façon Barbara Cartland. Tout est ici dans la nuance, dans le non-dit, dans le désir amoureux plutôt que dans son accomplissement. L'amour impossible entre la princesse de Clèves et le Duc de Nemours, ce jeu de cache-cache subtil qui nous fait pénétrer dans l'intimité des deux amants est complètement étranger à l'univers bling-bling et clinquant du gnome de l'Élysée. Prenons pour exemple les tourments de Mr de Nemours :
« Car, enfin, elle m'aime, disait-il ; elle m'aime, je n'en saurais douter ; les plus grands engagements et les plus grandes faveurs ne sont pas des marques si assurées que celles que j'en ai eues. Cependant je suis traité avec la même rigueur que si j'étais haï ; j'ai espéré au temps, je n'en dois plus rien attendre ; je la vois toujours se défendre également contre moi et contre elle-même. Si je n'étais point aimé, je songerais à plaire ; mais je plais, on m'aime, et on me le cache. Que puis-je donc espérer, et quel changement dois-je attendre dans ma destinée ? Quoi ! Je serais aimé de la plus aimable personne du monde et je n'aurai cet excès d'amour que donnent les premières certitudes d'être aimé que pour mieux sentir la douleur d'être maltraîté ! « Laissez-moi voir que vous m'aimez, belle princesse, s'écria-t-il, laissez-moi voir vos sentiments ; pourvu que je les connaisse par vous une fois dans ma vie, je consens que vous repreniez pour toujours ces rigueurs dont vous m'accabliez. Regardez-moi du moins avec ces mêmes yeux dont je vous ai vue cette nuit regarder mon portrait ; pouvez-vous l'avoir regardé avec tant de douceur et m'avoir fui moi-même si cruellement ? Que craignez-vous ? Pourquoi mon amour vous est-il si redoutable ? Vous m'aimez, vous me le cachez inutilement ; vous-même m'en avez donné des marques involontaires. Je sais mon bonheur ; laissez-m'en jouir, et cessez de me rendre malheureux. » Est-il possible , reprenait-il, que je sois aimé de Mme de Clèves et que je sois malheureux? »
Assurément, si le Duc de Nemours eût-été Nicolas Sarkozy, gageons que ces tergiversations eussent été moins longues. Il l'aurait emmené à Eurodisney et aurait ensuite déclaré, avec la pauvreté de langage qui le caractérise : « Mme de Clèves et moi, c'est du sérieux! »
Mais un océan, que dis-je, un univers, sépare le roman de Mme de la Fayette des gesticulations du parvenu de l'Élysée et les attaques de celui-ci contre cet ouvrage ne font que rendre plus tangible l'abime culturel de celui qui prétend diriger aux destinées de notre nation.
Ces consternantes petites phrases assassines n'auront finalement réussi qu'à ridiculiser (une fois de plus!) celui qui les a proférées tout en érigeant La princesse de Clèves en une icône de l'insoumission à la Beaufisation de la société française.
Il faut lire, ou relire, La princesse de Clèves. Vous accomplirez en cela un acte militant et vous vous démarquerez ainsi du cloaque dans lequel les néo-obscurantistes tentent de nous ensevelir.

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