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A propos de Dormir Au Soleil de Adolfo Bioy Casares (Robert Laffont - Bouquins).
Dormir au soleil est une expérience fantastique & simple comme il n'en existe plus beaucoup ces jours ci. Il se trouve que j'ai pu éprouver l'exactitude de ce propos il y a quelques jours à peine. Peu de temps avant que Belane, alors en pleine tourmente, ne vienne me rejoindre pour... rester sobre comme un gendarme. Les choses ne sont plus ce qu'elles étaient. C'est bien emmerdant mais qu'y puis je? Pas grand chose malgré toute mon influence. Voilà comment je me suis retrouvé par un après-midi, le coeur plein de belles images, sous un soleil brigand pour reprendre les mots de Belane, à rouler vers Serviere, de l'autre côté de la frontière... là où les alcools les plus fins sont à des prix imbattables. Les contingences qui m'ont ensuite mené à faire une sieste en plein milieu du golf de Montgenèvre sont plus ou moins absurdes. Quoiqu'il en soit mes loulous ayez confiance, je ne vous ai jamais trahi, faites donc l'acquisition d'un bonne bouteille de Cognac Delsay cuvée Napoléon V.O.S.P. & allez donc roupiller un peu où vos tituberies vous mènent. Dormir au soleil est une expérience unique c'est ce que j'ai dit. Soit. Mais Dormir Au Soleil, d'après ce qu'il se murmure dans les faubourgs de Buenos Aires, était aussi le livre préféré de Bioy Casares...
Il est arrivé à Bioy Casares à peu de chose près le même truc qu'à Paul Mc Cartney le jour où Dieu est venu le voir en lui refilant la mélodie de Yesterday de la première à la dernière note. Paraît que ça arrive au moins une fois dans la vie d'un génie. Écrit sous la dictée divine donc au début des années 70, alors qu'il était en train de travailler à ce qui aurait du être le plus grand roman de tous ses plus grands romans qu'il avait jamais écrit & qui, bizarrement, se finira en une nouvelle assez banale (Irse), ce curieux livre commence comme la chronique d'un couple en plein merdier & se finit en un véritable flambeau fantastique aussi redoutable que la rue d'Aubagne vers deux heures du matin. Pour ceux d'entre vous qui ne connaissent pas la rue d'Aubagne à deux heures du matin dites vous que c'est très Très TRES redoutable. Les fans du Lagarde & Michard me rétorqueront que c'était sa spécialité & ils n'auront pas foncièrement tord (j'utilise trop d'adverbes? Je sais. C'est ma spécialité). J'ai du le dire une bonne centaine de fois mais les sud-américains se trouvent être les meilleurs lecteurs que Kafka ait jamais eu & Casares devait être le premier du peloton. L'Invention de Morel & Plan d'Evasion avaient déjà installé le pote de Borges au sommet de ce registre. Registre duquel il aura les plus grandes difficultés à se sortir... je crois même qu'il n'y parvint jamais. Mais soyons concis pour une fois & allons droit au but. Maman je t'aime mais pas plus que l'OM. Bref...
Lucio Bordenave s'est matérialisé à mes jolis yeux comme l'antihéros parfait. C'est un type faible, influençable, indécis, qu'on imagine allant acheter son journal chaussé de pantoufles renforcées sur les côtés, amoureux fou de sa femme Diana qui le lui rend de façon assez sporadique & pourtant, au cours d'un dîner avec un étrange éleveur de chiens allemand (Ciel! Un ancien nazi???), il va se débrouiller pour la faire enfermer dans la clinique du Dr Samaniego, espèce de Dr Moreau porteño. Le parallèle avec le fameux manipulateur animalier est d'une limpidité étonnante du moment que l'on passe la moitié du livre & qu'on se souvienne que Samaniego était un grand fabuliste espagnol du XVIIIème. Le La Fontaine de derrière les Pyrénées. L'internement de Diana va participer à la perte d'équilibre du récit présent jusqu'à lors car il va plonger Bordenave dans d'incessants tourments de culpabilité. Moteur rédactionnel qui va aller en s'aggravant avec l'arrivée de sa belle soeur, portrait craché de sa femme mais en brune, qui ne cache pas son désir de prendre la place de vacante dans le foyer. Bordenave, en tant que personnage faible, se retrouve dans une époustouflante Sainte Merde & le seul moyen qu'il trouve pour s'en extirper est de faire l'acquisition d'une chienne au nom psychanalytiquement important puisque c'est le même que celui de sa femme. Les grincheux me feront remarquer que l'histoire à l'air aussi chiante que le match de l'équipe de France contre la Roumanie & je leurs répondrai simplement qu'ils n'ont rien compris au couscous. La justesse de l'écriture de Bioy Casares prend toute son ampleur dans ces petites scènes de fractures minimalistes (putain, mais où je vais chercher des expressions pareilles?!) qui s'ouvrent sur d'étranges crevasses (sic). Un quotidien dont l'ingénuité & la simplicité cachent une violence psychologique incroyable car Bordenave va s'émanciper de sa petitesse pour essayer de faire sortir sa femme de la clinique. Mesdames & messieurs, le roman bascule ici dans ce que les dictionnaires de littérature appellent tous en coeur: le réalisme fantastique.
Bioy Casares fait monter la sauce de telle manière qu'on à l'impression que la montagne va accoucher d'une souris, que tous les délires froids qui coulent devant nos yeux ne seront que des évocations de folies humaines & basta. Certaines scènes font d'ailleurs penser à ces épisodes de Twin Peaks (la deuxième saison) qui n'étaient ni réalisés par Lynch, ni écrit par Mark Frost. Certains des réalisateurs semblaient dépassés par l'univers si singulier de la série & se retrouvaient à tourner des trucs bizarres dans le seul but de faire « bizarre ». Bien évidemment la portée dramatique & absurde n'était pas la même. Le cliché restait plus visible que le reste. A la lecture de quelques passages de Dormir Au Soleil on pourrait se dire la même chose, mais quéquette! Bibi maîtrise son scénario de bout en bout. Le point de rupture éclate lorsque Bordenave parvient enfin à récupérer sa femme &, pour rester dans Twin Peaks, on pourrait dire qu'avant son passage à la clinique Diana ressemblait trait pour trait au personnage de Nadine Hurley, le bandeau en moins. Bordenave récupère un agneau, une espèce de friandise sur pa-pattes qui n'a de cesse de lui faire plaisir. Sauf qu'elle à l'air de lui cacher certaines choses, qu'elle attend qu'il s'endorme pour fouiller dans ses affaires, qu'elle le traîne tous les jours sur une mystérieuse place de Buenos Aires... Bordenave s'inquiète. Bordenave est perplexe. Y'a embrouille chez les grenouilles se dit Bordenave & il décide donc de retourner à la clinique afin d'avoir quelques explications. Il ne ressortira pas de là avant la toute dernière page. Ce qu'il se passe entre les deux, les révélations qui y sont faites au lecteur, le génie qu'y déploie Bioy Casares font de ce court roman un livre remarquable. Peut être pas aussi hallucinant que Le Songe des Héros, pas aussi fou que le Journal de la Guerre au Cochon, pas aussi célèbre que L'Invention de Morel mais bien plus attachant à mon goût... que j'ai bon.