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2665 (fin)

Par Lazare

V.
Comme déjà dit plus haut, Ulises Lima évoque l'admiration de Bolaño pour Joyce (Ulises = Ulysses bien entendu) & pour José Lezama Lima (quoique cette dernière affirmation, bien que pas entièrement fausse, peut être facilement remise en question par l'intervention de Morelli chez Pedro); Lezama Lima souvent considéré par certains comme un Joyce hispanophone. Cette interrelation semble aussi confirmer l'intention de Bolaño de créer, avec Les Détectives Sauvages, une épopée contemporaine (lorsque le critique le plus influent d'Espagne, Ignacio Echevarrìa, observa que Les Détectives Sauvages était « le genre de roman que Borges aurait pu consentir à écrire » il faisait certainement référence à la réinvention de l'épopée classique opérée dans le texte). Mais on a aussi entendu Bolaño dire que ce livre avait été écrit pour que lui & Mario Santiago puissent en rire. Malheureusement, Santiago fut renversé par une voiture dans les rues de Mexico & ne pu jamais lire le livre. C'était en 1998, l'année de sa parution.

Bolaño a écrit un essai plein d'admiration sur les Aventures d'Huckleberry Finn, un de ses livres préférés. De même, on s'aperçoit que les rues de Mexico sont le Mississippi de Garcia Madero (on vérifie, ici encore, la superbe fluidité de l'écriture de Francisco Goldman - sic). Beaucoup de personnages font de longues marches à travers la ville – ces extensions donnent leur tempo aux soirées sans fin & à ces nuits d'abandon où l'on bouge encore & toujours sans vraiment avoir besoin d'être quelque part. & finalement, le territoire vers lequel tend Garcia Madero est le désert, le fameux désert du Sonora, quasi personnage principal de 2666.
La dernière partie du roman, de nouveau racontée par Garcia Madero, nous ramène dans les années 70 où nous l'avions laissé avec ses amis poètes, fuyant le maquereau de Lupe à travers le désert. Dans les toutes dernières pages du livre Garcia Madero & Lupe viennent de se séparer de Belano & Lima. Ils ont enfin trouvé l'objet de leur quête, Cesàrea Tinajera & cette concrétisation sera fatale pour la poète. Elle sera abattu lors d'une violente confrontation sur une route déserte avec le proxénète & un flic véreux à la recherche de Lupe. Ainsi, tous les thèmes chers à Bolaño convergent: la recherche de l'artiste pour une idole insaisissable, ou pour le mythe de la poésie lui même, les perpétuelles relations entre poésie & crime, la violence dont les sud américains nés dans les années 50 n'arrivent pas à se débarrasser, la trinité de la Jeunesse, l'Amour & la Mort...
Avec tout ça, on peut facilement imaginer ce qui attend Belano & Lima.
Mais qu'en est il de Garcia Madero & Lupe? Aucun des personnages qui évoquent leurs rencontres avec les deux poètes ne semblent se souvenir du jeune Juan. Au début du roman, dans le bouge où les viscéral réalistes passent leur temps, Brìgiga, la serveuse avec laquelle Garcia Madero aura sa première expérience sexuelle, mais qui le quittera pour Rosario, lui délivre une prophétie. Elle lui dit qu'il "mourra[s] jeune & [qu'il] fera[s] du mal à Rosario ». A ce moment du récit, la deuxième prédiction s'est déjà réalisée. Mais Brìgida dit aussi à Garcia Madero qu'il a besoin d'une femme qui restera à ses côtés & Lupe semble bien être celle-ci.

Le roman se termine alors sur l'image du couple esseulé dans le désert. Ce désert qui semble incarner le grand nulle part à moins qu'il faille y voir un chemin qui s'étend vers l'infini... ce qui veut presque dire la même chose... presque.
Dans l'un de ses derniers interviews, Bolaño fit la distinction entre les écrivains dont le travail inspirait les autres & les écrivains, comme Borges, dont les fictions ouvraient des chemins à l'expérimentation littéraire. Les Détectives Sauvages, de manière singulière, ouvre aussi de nouvelles perspectives & quelques unes vont bientôt se tourner vers le nord, vers la frontière américaine & le futur cadre de son roman posthume 2666 qui se tient dans la ville fictive de Santa Teresa (rappelons au passage que Santa Teresa est la sainte patronne des écrivains de langue espagnole) où plusieurs femmes sont assassinées, où tous les personnages se retrouvent un jour ou l'autre, où un mystérieux écrivain allemand, vétéran de la Seconde Guerre Mondiale, Benno von Archimboldi, se cacherait. Les multiples pistes fictionnelles de 2666 sont portées par de multiples voix qui semblent, chacune à leur façon, incarner les différentes influences littéraires de Bolaño & qui s'épuisent toutes dans cette ville comme poussée dans une épiphanie finale. Il est certainement approprié que la fin abrupte du livre nous laisse exsangue sur ce qu'à pu être cette épiphanie, laissant la porte ouverte aux « 15 pages, 15 jours ou 15 secondes manquantes » dont parlaient Antonio, Fausto & Odot sur le Fric-Frac Club pour reprendre à nouveau le chemin & laisser tout derrière soi.

Encore.
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Cette série d'aricles est une longue & laborieuse traduction d'un papier de Fransico Goldman édité par la New York Review of Books.Pour aller plus loin dans l'oeuvre de Bolaño, La Bruyantissime vous recommande les articles parus sur le Fric-Frac Club ainsi que tous les liens proposé dans le premier volet de cette série.

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