Magazine Culture
IV.
Dans Les Détectives Sauvages Bolaño nous montre comment le temps nous punit pour les désirs rebelles de notre jeunesse...
Mais pour le lecteur qui n'a plus toute sa fraîcheur, le texte semble aussi conjurer la jeunesse dans ce qu'elle peut offrir de tragiquement exagéré & nous rappelle la pureté de la foi des jeunes gens – particulièrement lorsqu'il s'agit de poésie. Le lecteur se retrouve alors impliqué dans le texte de manière toute à fait particulière. Le voilà qui s'inquiète pour les personnages un peu comme un parent pourrait se faire du mouron pour ses enfants, espérant leur bonheur, ce qu'il y de mieux pour eux &, finalement, se retrouvant obligé de les laisser se débrouiller comme des grands.
Aucun personnage dans un roman n'est totalement ignoble ou répugnant lorsqu'il voit le jour avec adresse & clairvoyance. L'hilarante intellengentsia, dessinée par Bolaño, esthète snobe & pédante à souhait, est très comparable à celle qui évolue dans les cocktails de Mexico par exemple. Même le délectable, mais non moins étrange, personnage « Octavio Paz », dans l'un des passages que Bolaño lui consacre, semble avoir été longuement étudié. En contraste avec l'estimé Garcìa Madero, beaucoup des personnages qui se rappellent leur rencontre avec Belano & Lima en viennent vite à les mépriser, les qualifiant de « surréalistes aux rabais & de marxistes de pacotille » ou même de « bites molles ».
Il est difficile d'évoquer un écrivain, dans n'importe qu'elle langue, qui ait su créer tant de personnages féminins si différents & en même temps si crédibles, sensibles que ne l'a fait Bolaño (2666 en est plein de l'universitaire anglaise aux femmes de Santa Teresa mortes ou pas en passant par la mère de Rosa Amalfitano qui tombe amoureuse d'un poète incarcéré dans un asile de fous, le roman en est plein jusqu'à la gorge). La résonance des personnages féminins chez Bolaño suggère un autre aspect de sa singularité, du moins dans le contexte de la fiction sud américaine. Lorsque, par exemple, dans Marelle Julio Cortàzar fait le portrait de jeunes sud américains à Paris, une des implications du récit est que Paris se trouve être l'endroit où ceux-ci doivent trouver leur propre liberté & quelques intérêts dans la vie moderne à l'occidentale. Bolaño a fréquemment reconnu la dette qu'il avait envers le roman de Cortàzar, mais en définitive, dans Les Détectives Sauvages, la ville de Mexico, malgré toutes ses caractéristiques plus que typiques & ses dangers propres, a beaucoup plus de points communs avec des villes comme New York ou Paris qu'avec n'importe quel lieu sud américain traditionnel. Cela tient sans doute dans la manière très particulière qu'ont ses jeunes personnages un peu bohèmes & sophistiqués d'habiter le livre. Le roman décrit la ville au moment même où le monde entier découvrait Cent Ans de Solitude – une oeuvre dont l'immense succès eu pour conséquences de créer un folklore de stéréotypes de la vie en Amérique Latine & l'association, presque exclusive, de la littérature sud américaine avec un certain réalisme magique. Ceci depuis bientôt quarante ans maintenant.
Une des raisons selon lesquelles le Mexique apparaît alors comme une transposition du paradis à Bolaño & que le pays fut relativement épargné par la décennie de violence politique qui submergea le continent à la fin des années 60. Le Mexique a bien sûr eu droit à son 68 comme pratiquement toute la planète & sa culture en fut certainement affectée, mais, comme à chaque calamités qu'il a eu a subir, le pays a vite retrouvé un certain équilibre (« Lorsque le monde civilisé disparaîtra le Mexique continuera d'exister, lorsque la planète s'évaporera & se désintégrera le Mexique demeurera toujours le Mexique » affirme l'une des voix des Détectives Sauvages). Cette croyance est admirablement mise en scène lorsqu'un groupe d'écrivains mexicains de gauche se rend au Nicaragua sandiniste en voyage organisé. Ulises Lima qui fait partie du voyage, par accident semble t'il, s'éclipse de l'hôtel où les autres ne pensent qu'à boire & passe deux ans, deux ans sur lesquels nous ne saurons rien, à vagabonder dans un continent convulsé par la guerre jusqu'à ce qu'un jour, alors que tout le monde ou presque l'avait oublié, il ne réapparaisse à Mexico.
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Malgré l'aide précieuse des membres du Fric-Frac Club la traduction de cet article, qui compte encore une dernière partie, m'a confronté à mes limites translinguistiques, oui, ça fait pas un pli, mais surtout à la structure plus qu'étrange d'un texte pourtant publié dans l'une des revues les plus sérieuses qui soient & que j'ai traduit tout en lisant. En effet, & ça se voit bien dans cette nouvelle livraison, l'article de Fransico Goldman est assez mal fagoté & il est fort a parier qu'un professeur d'université un tantinet maniaque lui aurait demandé de refaire tout ça en quatrième vitesse.
Des thèmes sont abordés, des arguments sont proposés au début d'une phrase sans que cela n'empêche l'auteur de parler de tout autre chose, ou pire de quelque chose d'approchant, de presque la même chose, sans pourtant continuer son argumentation de départ ou répondre à la question qu'il a posé en haut de phrase. Le début du texte exprime le sentiment décalé que quelques lecteurs pourraient avoir à l'égard des personnages jeunes de Bolaño. On attend donc un développement sur ce thème déjà abordé dans la livraison précédente, mais il n'en n'est rien puisque Goldman embraye sur l'art de créer des personnages beaucoup plus complexes qu'il n'y paraît. Il tient bon la barre quelques lignes avant de virer de bord de nouveau. On passe de la place des femmes dans l'oeuvre de Bolaño (deux lignes) à la manière dont il perçoit le Mexique (le reste du paragraphe) sans transition aucun & pourquoi faire? C'est un peu déroutant. C'est assez agaçant même. Comme par exemple ce passage où le liens entre Cortàzar & Bolaño sont montrés (de manière plutôt décousue d'ailleurs) dans leurs façon respective d'appréhender la ville comme un idiome identitaire potentiel ou fantasmé. On voudrait en savoir un peu plus, on voudrait des approfondissements. Goldman se contente alors de préciser que le livre décrit la capitale Mexicaine au moment où le classique de Garcìa Marquez connaît un succès retentissant à travers le monde. Succès qui changera la vision que ce monde aura de l'Amérique du Sud & de sa littérature... (?????????) Oui, peut être! Mais il y a de sacrés trous entre les phrases. N'étions nous pas en train de parler d'autre chose? Ou encore le dernier chapitre dans lequel Goldman va nous expliquer pourquoi le Mexique jouit d'une telle aura de sainteté chez Bolaño. Tout simplement parce que le Mexique n'a pas autant souffert des violences politiques dont ont été victimes ses voisins. Point. Ça me semble un peu léger mais bon, je ne suis ni spécialiste de Bolaño ni de l'histoire du Mexique pour aller le contredire. Mais lorsque, pour appuyer son affirmation, il prend comme exemple l'ellipse qui voit disparaître Ulises Lima avant que se dernier ne revienne à Mexico... ça veut dire quoi au juste dans la démonstration? Eh bien le Mexique est une sorte de paradis pour Bolaño, la preuve: lorsque l'un de ses personnages disparaît pendant deux ans dans ce continent miné par les dictatures & les révolutions & qu'il décide de revenir à la vie, c'est au Mexique qu'il le fait. & puis c'est tout!
J'ai bien essayé, avec mes maigres moyens, de donner une certaine cohérence au texte mettant parfois de côté des phrases entières tant elles étaient totalement à côté du sujet ou hors de propos. Heureusement le dernier chapitre de cet article, bien que passant à un autre sujet sans transition & pourquoi faire de nouveau?, est bien moins destructuré que ses prédécesseurs & propose un bilan thématique assez intéressant sur l'oeuvre de Bolaño.