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LES ECOLOS DE L'EXTRÊME, Marie Claire, X-08

Publié le 08 septembre 2008 par Caroline Rochet
LES ECOLOS DE L'EXTRÊME, Marie Claire, X-08

MARIE CLAIRE

Les écolos de l'extrême

  Septembre 2008

Pour certains, tri sélectif et économies d’énergie ne suffisent pas à sauver la planète.  Alors ils vont plus loin, vivent à la bougie ou se font stériliser ... Enquête chez ces militants vert foncé.
PHOTOS Julien Chatelin & Alexa Brunet
L’environnement, c’est bien simple, on en entend tellement parler qu’on pourrait épauler Nicolas Hulot à ses conférences - coupe de cheveux mise à part. Entre la presse qui ne parle que de ça (Hot Video excepté, pas un canard sans son sujet vert), les politiques et leur danse du Grenelle, les pubs qui jouent à « Qui vert gagne », et notre entourage soudainement reconverti en apôtre de Dame Nature (« Ne me dis pas que tu utilises encore des lingettes ? » = hit 2008 des apéros branchés), la planète, on la connaît presque mieux que le contenu de notre sac à main. D’ailleurs, on a même adopté certains gestes pro environnement, du recyclage au co-voiturage en passant par les double vitrages. Problème : ces habitudes, excellentes au demeurant, sont à priori loin d’être suffisantes pour éponger notre monstrueuse dette environnementale. C’est ennuyeux, certes, mais on ne peut pas faire grand chose de plus. Et si ! répondent nos écolos de l’extrême. Adopter la décroissance à rebours de la société de consommation, éviter le moindre impact carbone en plein cœur d’une ville qui ne dort jamais, ou même (accrochez-vous) se faire stériliser pour soulager la surpopulation, certains ont fait des choix radicaux et ne le regrettent pas. Ca vous fait peur ? Il n’y a pas de quoi : on a dit « extrêmes », pas « extrémistes ». Loin d’être des green psychopathes assoiffés du sang impur des pollueurs, ces paisibles amoureux de la nature ne vous obligent pas à faire comme eux. Ils ont simplement trouvé leur truc perso pour faire du bien à la Terre - et le pire, c’est que ça les rend heureux. Etats-Unis, France, Angleterre : trois exemples pour mieux comprendre.
LA FAMILLE ANTI-CONSO : VIVRE EN BIOTARCIE
(moins de conso, plus de liberté)
Les « écolieux », ce sont ces endroits atypiques (hameaux, fermes, yourtes …) qui suivent les principes de l’écologie et de la décroissance, loin de la surconsommation polluante. Un peu comme chez les Beavan, mais à la campagne, et en s’autosuffisant si possible sur le plan alimentaire. Précision : vous n’y croiserez pas de gourou dénudé voulant vous illuminer à l’amour cosmique. Ouverture, solidarité, autonomie, respect de l’humain et retour à la nature sont les seules religions de ces endroits pas comme les autres, avec des gens normaux dedans. Jacky et Marie-Do en font partie. Cet ancien cadre commercial et cette ex-citadine pure et dure ont décidé de changer de vie il y a dix ans. Comment ? En restaurant eux-mêmes une vieille ferme au bord de la mer pour vivre l’écologie au quotidien, retour à la terre et moindre consommation compris. Selon eux, une forme de liberté extrême, même si l’aventure n’a pas toujours été facile : « Rien ne s’est fait du jour au lendemain, explique Jacky. Une crise de vie, suite à la perte de mon emploi et mon divorce, m’a amené à me poser les bonnes questions. Je savais ce dont je ne voulais plus : dépendre de l’argent, et être déconnecté de la nature ». Marie-Dominique, psychologue clinicienne-psychanalyste, sentait depuis longtemps le besoin d’une vie plus simple. Dès leur rencontre, ensemble, ils ont mis au point leur équilibre : lui retaperait la maison, ferait (et vendrait) du pain bio, s’occuperait des animaux et du potager. Elle, tout en l’aidant, tiendrait son cabinet à mi-temps en ville. Et ensemble, ils proposeraient un accueil dans des chambres d’hôtes. Mais attention, rien à voir avec un simple service hôtelier : « L’idée, c’est de partager notre mode de vie, pour ceux qui se posent des questions sur le sujet. On explique, ils testent, mettent la main à la pâte. » Et découvrent le potager en permaculture(1), les toilettes sèches, la récupération des eaux de pluie, le filtrage de celle du puits, l’éolienne couplée aux capteurs solaires, la moindre consommation, le rôle des animaux (âne, poules, chèvres, moutons), le nettoyage des eaux usées par phyto-épuration, etc. Le couple, qui ne travaille « officiellement » que peu, ne gagne au final pas beaucoup d’argent, mais affirme n’avoir jamais manqué de rien : « Consommer moins et mieux n’exclut pas de se faire plaisir. »  Le bilan au bout de dix ans ? « Vu l’état de la planète, nous allons tous en venir à la  décroissance. Rassurez-vous, c’est délicieux ! On y gagne des luxes sans prix : le temps, la liberté, et une vraie disponibilité l’un pour l’autre ». Travailler moins pour s’aimer plus ? Plus de renseignements sur leur accueil : http://vieil.eclis.free.fr, Tel. 02 40 01 77 29
LA FAMILLE INGALLS AU CŒUR DE MANHATTAN
(moins de gadgets, plus de sexe)
Vivre total écolo en milieu urbain, un défi impossible ? Colin Beavan, écrivain new yorkais, a voulu tester. Tel l'aventurier de la nature perdue, l’homme a entraîné toute sa petite famille - femme, fillette, chien - dans une année de vie la plus verte possible, sans aucun impact sur l’environnement. Sportif ? Plutôt. Américains typiques (clim’, shopping et fastfood compris), les Beavan ont dû radicalement changer leurs habitudes. Oublier les appareils électriques (frigo, lave-vaisselle, télé …), s’éclairer à la bougie,  consommer local et sans emballage, passer aux toilettes sèches (et sans PQ), réduire les achats au strict minimum, cuire leur pain, se déplacer à pied ou à vélo (vade retro taxi, bus et métro), préférer le bicarbonate aux produits nettoyants, renoncer aux voyages lointains, et renier l’ascenseur (neuf étages). Une entorse au règlement ? La machine à laver : après avoir expérimenté quelques temps le piétinement de fringues dans la baignoire, ils ont craqué. Pour compenser cet écart et ceux que leur impose la vie quotidienne dans une super capitale (éclairages des rues, etc), les Beavan ont aussi augmenté leur impact positif en « aidant » la planète. Par exemple en nettoyant les rives de l’Hudson, ou en participant financièrement à des projets de reforestation. Pour raconter leur expérience et faire des émules, ils ont aussi tenu un blog quotidien (« No Impact Man ») sur leur ordinateur … alimenté par panneau solaire. Et à la lecture des posts, on comprend vite que l’écologie extrême n’est pas toujours une partie de plaisir. Pour sauver la Terre, devrons-nous tous les imiter, galères comprises ? Colin, lucide, répond : « Vivre de façon soutenable et écologique devrait être facile, et ne pas nécessiter des efforts surhumains. Si on exige de nos gouvernements des énergies renouvelables, de bons transports publics et des industries respectant notre santé et la nature, vivre en bonne intelligence avec notre environnement coulera de source. »  Aujourd’hui, outre leurs bonnes habitudes et le nombre de convertis via le blog, les Beavan affirment sans sourciller combien ce mode de vie leur a fait du bien : « Je pensais qu’abandonner la télé, les jeux vidéos ou la voiture rendrait notre vie un peu ennuyeuse, mais c’est le contraire qui s’est produit. Sans ces gadgets pour nous distraire, nous avons passé plus de bon temps en couple, en famille et avec nos amis. Pour la machine à laver, en revanche, c’était l’inverse : la réutiliser nous a fait gagner du bon temps. Il faut donc apprendre à faire le tri entre la « bonne » technologie, qui enrichit la vie, et la « mauvaise », qui l’appauvrit. Vous verrez : dès qu’on commence à y réfléchir, on se rend compte que la deuxième catégorie est impressionnante ... et souvent inutile. » Entre autres plaisirs retrouvés, les Beavan avouent un significatif regain du sexe dans leur couple (et oui, pensez aux soirées télé). Voilà un argument qui devrait définitivement convaincre nos dirigeants politiques. Le site : http://noimpactman.typepad.com/blog. Un livre et un film paraîtront en 2009.
CES COUPLES QUI RENONCENT À FAIRE DES BÉBÉS
(stérilisation sans culpabilisation)
Reporter d’un an l’envie de faire un bébé réduirait notre empreinte écologique de 2,6 ha par an, soit beaucoup plus que la somme de tous les efforts verts qu’on pourrait réaliser sur la même période. Faire un enfant serait-il devenu un acte anti-écolo ? Certains en sont convaincus. Et, pour éviter tout risque de procréation, décident de se faire stériliser. Toni Vernelli, Britannique épanouie de 35 ans travaillant pour une association environnementale, a fait ce choix. "J'ai pris cette décision très jeune, mais on m'en a refusé la possibilité pendant des années. Cela fait maintenant huit ans que je suis stérilisée, et je ne l'ai jamais regretté. Avoir un enfant est un acte égoïste : chaque nouvelle personne sur cette planète consomme plus d'eau, de nourriture, d'énergie, et produit plus de pollution. Mon mari pense comme moi, et le jour de mon opération, il m'a offert une carte de félicitations ..." Toni et son chéri s’apparenteraient-ils aux "objecteurs de procréation", ces Allemands qui préfèrent profiter de la vie et bâtir leur carrière plutôt que torcher des mômes ? Pas du tout : "Nous envisageons d'adopter, car nombre d'enfants seuls sur cette planète ont besoin d'un foyer et d'amour". Pour Toni, prendre la pilule n'était pas suffisamment sûr : "Un jour, avant mon opération, je suis tombée enceinte malgré mon contraceptif. J'ai immédiatement choisi d'avorter. Ca ne m'a pas fait plaisir, bien sûr, mais je ne me sens pas coupable." Choquant ? Toni est pourtant loin d'être un cas isolé : dans les milieux verts, d'autres ont fait le même choix qu'elles, ou y réfléchissent sérieusement. Comme Mark Hudson, 37 ans, et sa compagne Sarah Irving, 31 ans. "Ne pas avoir d'enfant est le plus grand des choix environnementaux. Sarah et moi étions d'accord sur ce point, et comme l'opération nous semblait moins dangereuse pour un homme, j'ai subi une vasectomie il y a trois ans.". Sarah ajoute : "Nous aimons beaucoup les enfants, et adorons nos nièces. Mais ne pas procréer fait partie de notre vie, tout comme ne pas prendre l'avion, recycler, manger bio ou nous déplacer à vélo." En France aussi, certains y pensent. "Quand je dis que j'hésite à faire des enfants à cause de la situation de la planète, on me prend soit pour une folle, soit pour monstre sans coeur, explique Mathilde, 29 ans." Henri Léridon, directeur de recherche à l'Institut national d'études démographiques et co-auteur de "Les enjeux de la stérilisation"(2), précise : "Le choix de ne pas avoir d'enfant relève des seuls individus, et la motivation écologique me semble aussi respectable qu'une autre. Bien sûr, si une très grande majorité de la population faisait ce choix, cela mériterait une sérieuse réflexion sur les implications d'un tel comportement, mais nous n'en sommes pas là ! En revanche, il n'existe aucune technique qui soit à la fois 100% efficace et complètement réversible. La décision doit donc être mûrement réfléchie et prendre en compte le fait qu'il n'y aura pas de garantie de retour possible si l'on venait à changer d'avis dans 10 ou 20 ans." La question provoque en tous cas pas mal de cris horrifiés, même si ses adeptes n'imposent rien à personne : "Chacun est libre de ses choix, témoigne Laure, 31 ans, écolo confirmée qui n'a pas encore résolu la question pour elle-même. Tant que ceux qui se font stériliser ne culpabilisent pas ceux qui ont envie d'avoir des enfants et inversement, je ne vois pas ou est le problème". Toni Vernelli est plus engagée : "Tout le monde n’est pas obligé de faire comme nous, mais il serait bon qu'on ralentisse un peu la croissance de la population".
Bon, si on résume la situation, la planète souffrirait d’un trop-plein de bébés, mais vivre vert laisserait plus de place au sexe et à l'amour. Décidément, l’écologie est plus complexe qu’on ne croit.
(1) Permaculture : mode de production soutenable, très économe en énergie, respectueux des êtres vivants et laissant à la nature "sauvage" le plus de place possible.
(2) Avec Alain Giami, éd. INSERM


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