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Hugo chavez is back !

Par Francois155

On pourra penser ce qu’on voudra du tonitruant leader bolivarien, voilà quelqu’un qui a de la suite dans les idées…

Évincé sans gloire de la scène internationale à l’occasion de la libération d’Ingrid Bétancourt, un joli coup qui a ruiné son image flatteuse de « négociateur humanitaire » aux yeux de puissances rendues peu regardantes par la détention d’otages emblématiques, il a su se faire discret sans pour autant abandonner ses ambitions régionales. A l’affut de conditions plus favorables, il sait aujourd’hui se saisir de ce qu’il perçoit comme un contexte propice pour amorcer son retour comme l’un des leaders de la zone caribéenne.

Tentons de brosser une rapide esquisse de la compétition qui se joue dans ces contrées équatoriales des Amériques : deux acteurs principaux se disputent le titre ; deux « peuples frères », que, nonobstant une longue frontière et une lutte pour l’indépendance commune, tout aujourd’hui oppose ou presque.

La Colombie, plus grande et plus peuplée que son voisin, a fait le choix d’un modèle économique et social libéral à l’américaine et s’appuie lourdement sur le soutien quasi unique de son tuteur étasunien. Malgré ses atouts certains (une position géographique enviable, une économie performante à l’échelle du continent et à l’aune de ses propres difficultés intérieures, une approche stratégique originale et efficace de la contre-insurrection qui porte ses fruits dans la réduction des mouvements d’insurrection armée), la Colombie souffre d’un isolement politique régional et international fortement préjudiciable. Celui-ci est autant le résultat des efforts du compétiteur vénézuélien que d’une posture intérieure assumée, faite de tropisme pro-USA de la part du président Uribe et de méfiance à l’égard de l’extérieur, proche ou lointain. Ce syndrome du « seul contre tous », assez profondément ancré dans la mentalité des élites locales, conduit régulièrement les éditorialistes colombiens à comparer leur pays à Israël, avec tout ce que cela comporte de positif et de négatif. Ce relatif isolement politique sur la scène internationale, s’il peut se comprendre au regard de l’image peu flatteuse que l’Europe, notamment, entretient de la Colombie, est sans aucun doute une erreur : s’appuyer sur un seul parrain est toujours hasardeux et il serait bon que ce pays renoue avec ses très anciens, mais toujours vivaces dans l’imaginaire national, liens avec les Européens. Par exemple, force est de constater que l’administration Uribe n’a pas réussi à transformer l’essai de la libération d’Ingrid Bétancourt vis-à-vis de nos opinions publiques : si le président colombien est crédité dans son pays d’une popularité impressionnante, il reste perçu, chez nous, comme un personnage inquiétant, glacial et autoritaire. Une fois de plus, la communication colombienne vis-à-vis de l’extérieur a été tâtonnante, rigide, malhabile, s’embourbant vite dans la dénégation des rumeurs et autres contre-feux allumés par les sympathisants, plus ou moins assumés, des guérilléros (versement de rançons, mise en scène, trahison, utilisation illégale de l’emblème de la Croix-Rouge, etc.).

A l’inverse, Hugo Chavez et son régime jouissent, sous nos latitudes, d’une image flatteuse. Le personnage, haut en couleur, attire facilement les médias qui voient dans ce militaire socialiste un digne héritier du folklore latino-américain des années 60, si cher au cœur de certains journalistes. Habilement, ce dernier joue volontiers de cette partition romantico-révolutionnaire, à domicile comme à l’extérieur. De même, son régime est perçu comme une rupture salutaire avec un ordre oligarchique corrompu et spoliateur. Pas tout à fait à tort, d’ailleurs : il est indéniable que son début de règne a mis fin à certaines inégalités criantes, lui attirant la sympathie d’une majorité de Vénézuéliens, y compris dans la classe moyenne. Hélas, le régime a rapidement pris une tournure marxisante (rebaptisée là-bas « bolivarienne », quoique le grand Simon Bolivar fut en réalité un libéral influencé par les idées de la Révolution française de 1789) avec tous les attributs détestables déjà constatés dans les pays où cette idéologie a sévi : nationalisation massive désordonnée et autoritaire, corruption endémique d’une classe pléthorique de fonctionnaires, paranoïa aiguë vis-à-vis de tous ceux qui ne partagent pas la vision du grandiose avenir socialiste, etc. Bien sûr, il ne faut pas non plus exagérer : le Venezuela n’est ni l’URSS des années 70, ni la Chine de Mao. Néanmoins, le miracle économique attendu ne s’est pas produit et la manne pétrolière vient providentiellement rattraper, dans une certaine mesure, les erreurs commises par un interventionnisme tous azimuts et pas toujours bien inspiré. Tout comme, d’ailleurs, permet-elle à Hugo Chavez de mener une politique d’armement assez massive pour inquiéter ses voisins compétiteurs (la Colombie, bien sur, mais aussi, dans une moindre mesure, le gigantesque Brésil social-démocrate). Du reste, le Venezuela, presque moitié moins peuplé que la Colombie, possède surtout deux grandes richesses dont il fait bon usage : son pétrole et son idéologie. Le premier lui permet une certaine autonomie financière et il emploie la seconde à fédérer des pays moins fortunés et soucieux de se placer sous une tutelle politique valorisante et émancipatrice vis-à-vis du grand voisin étasunien.

Son pesant soutien à la guérilla déstabilisatrice des Farc, sous couvert d’un « humanitarisme » qui n’a convaincu que ceux qui voulaient bien l’être, ayant échoué, le président Chavez a changé son fusil d’épaule, mais poursuit sa quête du leadership régional.

Ainsi, l’initiative conjointe venezuelo-cubaine de l’ALBA (Alternative Bolivarienne pour les Amériques), qui compte déjà dans ses rangs la Bolivie, le Nicaragua, le Honduras et l’île de la Dominique, poursuit-elle son expansion en tentant d’intégrer l’Équateur, le Guatemala et le Paraguay dans une alliance qui laisserait la Colombie encore plus isolée tout en gênant aux entournures le Brésil de Lula.

Plus globalement, la récente reprise des tensions entre l’OTAN-UE et la Russie à l’occasion de la crise géorgienne, et qui a poussé certains commentateurs à parler d’une « nouvelle guerre froide », est-elle vue comme une occasion de resserrer les liens avec les Russes . Ainsi, Chavez, tout en saluant la réaction de Moscou à la désastreuse offensive géorgienne, a-t-il sauté sur l’occasion pour proposer au gouvernement Medvedev – Poutine des facilités militaires dans l’Atlantique Sud avec exercices conjoints et établissement d’une base « temporaire » pour les bombardiers stratégiques Tu-160. Poursuivant sa politique d’achats d’armes « strictement défensives », il a également fait part de son souhait d’acquérir un solide parapluie antiaérien, comprenant notamment des missiles longue portée de type S-300. Il n’est cependant pas certain du tout que Moscou accède à cette requête : si le Kremlin est ravi de venir tremper les pieds dans les mers chaudes proches des USA, la vente de matériels aussi performants et sensibles se heurterait à une hostilité massive qu’il n’est peut-être pas dans l’intérêt des Russes d’activer.

De son point de vue, Hugo Chavez a donc bien amorcé son retour sur la scène régionale et internationale : il a isolé encore un peu plus son concurrent colombien ; il s’est adossé à une grande puissance qui ne demandait que cela en s’assurant, au moins provisoirement, de la présence de navires de guerre dans ses eaux, ce qui lui permet de se prévaloir d’une certaine plus-value militaire. Bref, il apparaît, aux yeux de ses voisins immédiats, comme un leader à respecter voire même à suivre.

Reste, pour Chavez, l’inconnu du résultat des élections présidentielles américaines. On le sait, le leader bolivarien a basé une grande partie de son activisme politique et militaire sur la diabolisation de l’Oncle Sam et la menace d’une invasion imminente de son pays. Cette crainte est-elle fantasmée, instrumentalisée ou objective ? Probablement un peu des deux premiers mais, rationnellement, et quoique Washington serait ravi de voir le trublion vénézuélien prendre sa retraite, on ne voit pas très bien comment ce pays, qui s’extrait difficilement d’un théâtre amer (l’Irak) pour en aborder un autre qui le sera sans doute encore plus (l’Afghanistan), sans oublier le problème iranien, pourrait avoir la fantaisie de se lancer dans une offensive contre le Venezuela, tout bolivarien et agaçant puisse-t-il être. Du reste, l’allié colombien, dont l’effort militaire est tout entier accaparé par la réduction définitive des dernières poches de guérilla, verrait d’un très mauvais œil l’ouverture d’un nouveau front à sa périphérie. Nonobstant les tracasseries douanières et l’aide matériel aux Farc (une aide qui semble d’ailleurs se faire plus discrète), Bogota se satisfait plutôt d’un pays dont l’incurie du modèle économique tranche avec son propre dynamisme en la matière. Tant que la croissance va et que la guérilla recule, la Colombie ne souhaite pas se fâcher avec son voisin. De même, tant qu’elle conserve le soutien des USA, elle consent à un certain isolement politique régional.

Mais revenons-en aux prochaines échéances électorales américaines. Prenant prétexte de l’agitation qui règne dans certaines régions de Bolivie, qui sont riches en hydrocarbures et, de fait, manifestent des velléités sécessionnistes en réaction à la politique de nationalisation, d’inspiration chaviste, d’Evo Morales, le président vénézuélien s’est livré à l’un de ces coups d’éclat public qu’il affectionne. Sommant l’ambassadeur US à Caracas (élégamment assimilé à de la « merde yankee ») de faire ses bagages fissa, il a également rappelé son propre représentant à Washington jusqu’au résultat des présidentielles.

Car l’identité du prochain locataire de la Maison Blanche, si elle ne modifiera pas en profondeur la paranoïa de Chavez vis-à-vis des États-Unis, pourrait au moins influer sur son discours. L’élection de John Mc Cain, assimilé aux néoconservateurs « fauteurs de guerre » et lui-même vétéran du Vietnam (un pur impérialiste, donc), provoquera un durcissement de Caracas. En revanche, l’arrivée au pouvoir d’un Afro-Américain, perçu comme plus ouvert et modéré (quand bien même, en vérité, il garderait peu ou prou la même politique étrangère, ce qui est probable), rendrait l’extrémisme de Chavez moins audible aux masses sud-américaines…

Prudence et attente, donc…

Quoiqu’il en soit, et après s’être fait souffleter par Bogota sur le dossier des otages, Hugo Chavez montre qu’il sait profiter des circonstances internationales pour reprendre la main et se placer au cœur du jeu régional.

À suivre…


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