L’édition 2008 du festival socialiste de La Rochelle n’augure rien de bon pour la suite. Même si chacun des protagonistes de ce vaudeville a tenu à souligner, après avoir paradé devant micros et caméras, l’intérêt et la qualité des débats, on sent bien que le cœur n’y est plus. Le congrès de Reims s’annonce crépusculaire. Non seulement les socialistes ne travaillent plus depuis longtemps à leur évolution doctrinale et à l’élaboration programmatique qui va avec mais, de surcroît, ils se complaisent désormais dans un jeu d’autodestruction méthodique qui touche tour à tour chacun de leurs dirigeants.
Entre l’œuf doctrinal et la poule du leadership, nul ne sait plus par où commencer. Les uns refusent la présidentialisation du parti contre l’évidence même des institutions de la Ve République encore renforcée par le quinquennat. Les autres mettent en avant une « présidentiabilité » obtenue à coups de sondages d’opinion et de médiatisation tapageuse sans proposer le moindre projet politique en dehors de leur indispensable personne. Et tous d’élaborer des tactiques de congrès plus sophistiquées les unes que les autres pour prendre un pouvoir dont on comprend déjà, malheureusement, qu’ils ne sauront trop que faire si ce n’est de tenter de le conserver à tout prix. Le degré de cynisme vain et d’aveuglement coupable atteint par les dirigeants du PS est à son comble. Les différents courants et personnalités qui ont soutenu la direction insubmersible animée par François Hollande depuis 1997, et surtout 2003, y ont leur part. Ce sont pourtant les mêmes aujourd’hui qui sont à la manœuvre en protestant de leur volonté de « reconstruire » ou de « rénover ». Comment les croire ?
Dans ce champ de ruines, un problème est sans doute plus grave encore que les autres. Ce qui divise les socialistes est en effet désormais bien plus important et plus profond que ce qui les rassemble. Malgré les dénégations répétées sur l’air de « ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous sépare », entonné à tue-tête depuis le fiasco du référendum sur le Traité Constitutionnel Européen en 2005. Le dogme de l’unité socialiste, héritage lointain de Jean Jaurès et de la SFIO de 1905, réapproprié par François Mitterrand dans les années 1970, est devenu une illusion mortifère. Il a longtemps empêché l’harmonisation entre discours théorique et pratique du pouvoir ; il interdit désormais l’efficacité électorale et la conquête du pouvoir d’Etat, un comble !
Cohabitent aujourd’hui au PS trois partis distincts. En son centre, lieu névralgique du pouvoir dans ce qui est devenu une vaste association d’élus locaux entourés de leurs affidés, on trouve les tenants d’une gouvernance désidéologisée, gestionnaire et pragmatique dont la première préoccupation n’est pas le débat d’idées. A l’aile gauche, continue d’exister, et de se reproduire, une radicalité gauchisante dont l’ethos n’est plus tant le marxisme d’estrade d’antan qu’un robuste antilibéralisme accommodé à toutes les sauces et pleinement partagé avec l’extrême-gauche. Enfin, on trouve, niché sur l’aile droite, un attelage « social-démocrate », constitué à partir des oripeaux de la « deuxième gauche » et nourri des évolutions modernisatrices des partis-frères d’Europe du Nord des années 1990, dont les velléités programmatiques peinent à s’émanciper de schémas désormais datés, au cœur desquels une conception économiciste et technocratique de la réforme n’est pas le moindre défaut.
Aucun de ces trois partis dans le parti ne peut prétendre dominer l’ensemble à lui seul. Ils peuvent encore se rassembler en fonction des nécessités électorales du moment ou, temporairement, de la qualité de rassembleur d’un leader à la manière de François Mitterrand ou de Lionel Jospin. Mais ces blocs n’en restent pas moins irréconciliables quant à leur projet politique global, à l’image qu’ils se font du parti et quant à la stratégie électorale qu’ils souhaitent adopter. Une fois l’intérêt électoral amoindri par les défaites consécutives aux élections nationales, et tout leader de rassemblement durablement absent, on voit mal ce qui les tient encore ensemble.
D’aucuns objecteront à cet argument les succès récents aux élections locales qui ont fait du PS le premier parti (local…) de France. Mais qu’a-t-on pu observer, aux dernières élections municipales par exemple, sinon le triomphe de l’émiettement programmatique et stratégique ? Ce n’est pas le parti qui a gagné ces élections, ce sont ses élus et ses candidats locaux qui l’ont emporté en s’alliant ici au MODEM, là à l’extrême-gauche, ailleurs encore en reconstituant la gauche plurielle… Quelle leçon en tirer nationalement ?
Le PS devra dire clairement qui il est d’ici 2012 s’il veut espérer voir son candidat accéder à l’Elysée. Face au Triangle des Bermudes politique que représentent désormais pour lui Nicolas Sarkozy, François Bayrou et Olivier Besancenot, un PS qui n’aurait (re)défini ni son identité ni sa stratégie ni son leadership ne pourra survivre à une défaite de plus. Or il n’est pas certain, c’est un euphémisme, que le salut soit dans l’unité de façade à laquelle on veut nous faire croire du côté de la rue de Solferino, à coup de nouvelle « déclaration de principes » par exemple. Mieux vaudrait une explication franche entre socialistes, à Reims pourquoi pas, afin de proposer aux Français une orientation claire et nette, une stratégie électorale cohérente et un leader incontesté pour les porter. L’éclatement du parti peut être le prix à payer pour cette clarification en forme de nouvel espoir. Il n’est pas si élevé au vu de ce qu’est devenu le PS. Il est temps, en tout cas, pour le socialisme français d’entrer dans son siècle autrement qu’en brandissant le fantôme d’une unité depuis longtemps perdue.