Je se souvient d’un fleuve au vert marin qui traversait sa ville pour s’en aller rejoindre un autre plus au sud. Je se souvient de ce fleuve si différent de celui qui traverse la ville ou Je vit aujourd’hui.
Ici le fleuve est terriblement, désespérément terrestre. Je se demande comment il fait pour avoir toujours une aussi sale couleur. Il en a l’estomac tout barbouillé.
Je n’avais jamais remarqué qu’il y avait autant de ponts et de passerelles dans sa ville natale. Je les récite dans sa tête comme une litanie : Pont Raymond Poincaré, Pont Winston Churchill, Pont Maréchal de Lattre de Tassigny, Pont Morand, Passerelle du Collège, Pont La Fayette, Pont Wilson, Pont de la Guillotière, Pont de l’Université, Pont Gallieni, Pont Pasteur. Pas un ne manque. Je n’a pas hésité une seule fois.
La ville où Je vit maintenant n’a nulle passerelle pour les piétons. Les ponts sont faits pour les voitures et sans doute le fleuve déborde-t-il trop souvent pour que l’on ose se lancer dans l’aménagement de ses rives.
Jasmine Viguier, Exactement là, Le dé bleu, l’idée bleue, 2008, pp. 30 à 34.
Biobliographie de Jasmine Viguier
Rappel : Jasmine Viguier sera l’invitée de l’émission « ça rime à quoi », sur France Culture, dimanche 21 septembre et elle lira de larges extraits de Exactement là.