Premier roman : Thierry Dancourt

Il est assez périlleux pour un premier roman de privilégier le style à l’intrigue. C’est pourtant ce chemin qu’a emprunté Thierry Dancourt dans ce récit à l’atmosphère surannée. Le narrateur, Daniel Debaecker, se souvient de Christine Stretter, une jeune femme rare et fragile qu’il a aimée passionnément. De lui, nous saurons seulement qu’il voyage beaucoup, mandaté par un riche antiquaire à la recherche de mobilier signé du décorateur Jean Royère. Le roman, elliptique à bien des égards, joue sur le mystère. Si nous comprenons que Daniel est l’amant de Christine, nous n’apprendrons pas à quelle occasion il l’est devenu, et comment la jeune femme, par ailleurs fiancée, gère d’une façon aussi fluide ses relations avec les deux hommes.
La beauté du texte tient toute entière à l’évocation d’un personnage féminin intemporel, figure à la fois libre et figée. Absente, éthérée et sublimement chic, Christine est une vamp enfantine, vêtue de son tailleur noir et de son petit chapeau rond posé sur son chignon. Mais derrière ses lunettes fumées et sa bouche carmin, quelle blessure dissimule-t-elle ? Plus Daniel la côtoie, plus il pénètre le fameux « système Christine », qui règne sur son père, collectionneur de mappemondes, et un fiancé apprenti cinéaste. Il en trouvera la clef dans un hôtel à Casablanca, dont la photo noir et blanc orne la chambre d’un autre hôtel, parisien, où aime se reposer la jeune femme. Thierry Dancourt a créé un monde à la Modiano, qui atteint son zénith lorsque le couple illégitime se réfugie dans des villes aristocratiques au charme désuet : Blois, Chartres, Sens, Orléans, ces « souveraines déchues » qui ressemblent tant à Christine, sublime reine égarée. Produisant une mélancolie baignée de lumière automnale propre aux préraphaélites.
Article paru dans le Figaro littéraire du 4/09/2008
"Hôtel de Lausanne", de Thierry Dancourt, Editions de La Table ronde, 175 p., 18 euros.