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Socioénigmes (2) : les privatisations

Publié le 23 septembre 2008 par Philippe Di Folco
A l'heure où l'Etat américain est sur le point d'injecter 700 milliards de $ dans son économie, des milliers d'employés de la Poste française s'apprêtent à se mettre en grève pour protester contre la privatisation partielle de leur [notre ?] entreprise.
La déprivatisation de l'usine Renault intervenue peu après la libération de Paris n'a posé aucun problème moral aux Comité de Salut public : les sieurs Renault collaborèrent avec l'occupant, leurs biens furent confiqués, et attribués à la Nation. Depuis, une partie du capital de la Régie s'est ouvert : la joint-venture avec le japonais Nissan, par exemple, constitue un bel exemple, signifiant que l'aventure n'est pas l'apanage de l'initiative privée, d'un décideur empanaché, bourré d'idées, de convictions, et soi-disant libre.
La privatisation de TF1 en 1987 s'est mal passée : beaucoup de gens défilèrent, une partie seulement brandissant l'argument du "on spolie les biens publics", mais en réalité, c'est l'ensemble des médias qu'il faudrait confier aux actionnaires (ou aux grandes fortunes). TF1 Bouygues ne faisait que confirmer le mouvement amorcé depuis 1973 (éclatement de l'ORTF). Pourquoi ? Parce que Big Brother. Je préfère savoir les médias aux mains des actionnaires qu'aux mains de l'Etat. Les petits Goebbels sont facilement incarcérables, le gros Etat non.
Plus embarrassante, la privatisation des grands monopoles énergétiques et de l'eau. Energie et eau, deux éléments vitaux, au contraire de la télévision dont on pourrait se passer, or, ça passe. Enigme !
Les paradoxes sont les suivants : depuis près d'un siècle, l'Etat français investit dans ce que l'on appelle les infrastuctures. Le service du courrier, les autoroutes, les chemins de fer, les tuyaux de gaz, les cables électriques... Qui paye ? C'est très simple : une grande partie provient de l'impôt (direct et indirect).
Lorsque l'on manifeste, on devrait réclamer un dégrèvement fiscal ou, bien mieux, exiger que chaque citoyen devienne actionnaire, ce qu'il est en droit, donc de fait (ou l'invese, ok).
Privatiser des biens publics c'est reposer la question : qu'est-ce qu'une Nation ? On a d'un côté, la Nation américaine qui prend ses responsabilités pour réguler, pour corriger les bêtises de certains acteurs du marché (donner trop de crédits à des gens insolvables, fictionnaliser les capitaux, nier le principe de réalité par des prises de positions impossibles à tenir).
D'aure part, la Nation ne sert qu'à éponger, réparer, protéger. L'Etat belge ou japonais est endetté à hauteur de plus de 200% de son PIB. En gros ça veut dire que les petits-enfants des citoyens belges et japonais actuels auront à payer quelque chose, un intérêt, là-dessus. Qui corrige l'Etat ?
La force d'une Nation c'est aussi de pourvoir déclarer : "On efface tout on recommence... mais autrement, avec des nouvelles règles, pour ne pas refaire les mêmes conneries."
Nous avons en France un président qui demande aux Etats-Unis de "punir les responsables du marasme actuel", un président qui demandait en ce debut d'année 2008, aux actionnaires de la Société Générale, d'agir en conséquences de leurs actes. "Démission, piège à cons".
On voit par là que c'est donner trop d'importance à quelques individus dans une affaire qui dépasse l'individu, le citoyen, l'actionnaire minoritaire ou l'employé des Postes. On voit par là que la bonne vieille logique du bouc émissaire continue d'alimenter la rhétorique des Justes.
Belle foutaise que tout celà. L'énigme, encore : pourquoi le libéralisme montre-t-il tant d'atours séduisants, quand personne, je dis bien personne, n'accepterait de revoir son salaire à la baisse, je ne parle même pas de revenus autres (produits d'investissements d'épargne en actions, etc.), dont on vient de voir qu'ils pouvaient se volatiliser en quelques séances ou parties de basket (panier, oui bon...) ?
On désire une véritable économie de marché ?  En ce cas, préparons-nous à accepter la logique de la baisse.
On veut un statu-quo ? Une économie mixte ? C'est aujourd'hui le cas dans tous les pays. Aucun pays au monde n'applique le libéralisme à la lettre, celui-ci est une fiction, aussi irréaliste que le communisme, une utopie à la noix.
On ne sera jamais assez vigilant. Ce que l'on privatise aujourd'hui, sera renationalisé demain. Parce que l'on ne privatise pas impunément des années d'efforts et de sacrifices collectifs, et que le marché boursier actuel est au début d'un collapse nécessaire, moins d'un assèchement que d'une redistribution des cartes. Et qui est à même de redistribuer les cartes tout en préservant les intérêts du citoyen  ?
Je vois mal les plus grandes fortunes du monde s'attribuer correctement ce rôle ingrat. Après tout, ils n'ont plus tant d'argent que ça...

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