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Avant-première : « L’art de la pensée négative » de Bard Breien, un hymne au politiquement incorrect à l’humour noir délicieusement caustique et corrosif

Par Sandra.m
art2.jpg Ci-dessus, Fridtjov Saheim (Geirr) dans "L'art de la pensée négative"

Un film qui s’intitule « L’art de la pensée négative », norvégien de surcroît, voilà a priori de quoi réfréner l’enthousiasme d’un certain nombre de spectateurs … et ils auraient bien tort. Certes, Bard Breien va délibérément à l’encontre d’un certain nombre de films, américains en général, selon lesquels tout va bien dans le meilleur du monde même lorsque celui-ci ou celui de ses personnages périclite mais il le fait avec tellement de talent et de causticité qu’on ne peut qu’être charmé.

 Evidemment si j’ajoute qu’il s’agit de l’histoire d’un trentenaire prénommé Geirr (Fridtjov  Saheim) handicapé à la suite d’un accident, dont la femme est sur le point de le quitter et qui cède à sa misanthropie galopante, son mauvais esprit et sa rageuse amertume, cela risque de décourager les quelques téméraires qui ne l’étaient pas encore… Oui, mais voilà cela ne s’arrête pas là : sa femme convie alors chez lui un groupe d’handicapés chaperonnés par une coach pleine de bonne foi en sa méthode positive. Il les accueille avec son altruisme légendaire en leur aspergeant avec un extincteur et commence alors son entreprise de démoralisation. Tous les repères vont alors exploser, les handicapés vont prendre le contrôle et exclure les valides et leur bonne conscience, se perdant dans une nuit d’ivresse aux vertus inattendus.

 Cela commence dans le bureau aseptisé de la coach avec ceux qui seront les autres protagonistes de l’histoire : Tori ( Kjersti Holmen), la coach apparemment imperturbable, Marte (Marian Saastad Ottesen) la jeune tétraplégique au sourire béat invariablement suspendu aux lèvres,  Gard ( Henrik Mestad), le mari de cette dernière apparemment dégoulinant de serviabilité et de compréhension, Lillemor (Kari  Simonsen) l’aînée du groupe dont les problèmes sont visiblement plus psychologiques que physiques et Asbjorn (Per Schaaning) qui n’a apparemment plus l’usage de la parole ni des jambes, le plus handicapé de tous. Tout ce petit monde se dirige ensuite chez Geirr sur la demande de sa femme Ingvild (Kirsti Eline Torhaug) où va se dérouler l’essentiel de l’histoire sous forme de huis-clos explosif et détonant. Les masques vont peu à peu se fissurer, les vraies personnalités se révéler, le décor lisse de la maison et les fausses certitudes exploser sous l’impulsion et le regard acide et acéré de Geirr.

 Ne vous y trompez pas : ce film est une comédie ! Le premier décalage provient d’abord de ces gens  censés apporter l’optimisme à Geirr alors qu’eux-mêmes ont encore plus de problèmes, de leur situation inexorable, de leur optimisme béat et ridicule. Plutôt que d’en faire des héros qui supportent toutes les situations sans broncher et qu’il faut traiter avec indulgence, Bard Breien fait de ces handicapés des êtres à part entière avec ce que cela comporte de failles, de fêlures, de dérapages incontrôlés, de désirs et de désordre à l’image de celui qui va peu à peu ravager la maison initialement d’une blancheur et d’une propreté immaculées.

  L’esprit caustique et dévastateur de Geirr va peu à peu s’emparer des autres handicapés qui vont peu à peu révéler leur être véritable, leur humanité et donc leurs imperfections. Chacun va alors évacuer sa rage finalement salvatrice, le tout à  un rythme effréné, grâce à un montage saccadé, une mise en scène frontale qui rappellent les films du dogme et notamment « Festen » même si ici de la noirceur surgira la lumière, même si la rage est ici finalement plus salvatrice que destructrice, ou du moins après avoir été salutairement destructrice : voilà tout l’art de la pensée négative ! Préparez-vous à voir les perruques voler, les ventilateurs tournoyer comme les hélices des hélicoptères dans « Apocalypse now », à jouer à la roulette russe, à entendre des vérités cinglantes, à jouer avec le feu et la morale.

  Plutôt que de refouler les problèmes, plutôt que de donner une image faussement et ridiculement parfaite et imperturbable notamment du handicap, mieux vaut les affronter pour mieux les comprendre et les surmonter. Tout repose donc sur les personnages et leur évolution psychologique savamment écrite.

 Préparez-vous à un voyage jubilatoire au bout d’un enfer savoureusement noir et caustique. Geirr est d’ailleurs totalement imprégné du film de Cimino et d’ « Apocalypse now », son art de la pensée négative consistant aussi à trouver le réconfort dans les vieux disques de Johnny Cash et ses vieux films de guerre et à s’identifier aux vétérans du Vietnam.

 Au bout de ce drôle d’enfer se trouve la lumière : l’art de la pensée négative c’est finalement de nous rendre positifs tout en admettant notre face sombre et négative, nos failles inéluctables, nos moments d’égarement, de doutes, peut-être simplement de sincérité.  Oui, cette lueur là est celle de la sincérité. La vérité crue. Terriblement salvatrice. A l’image de ce film à l’humour noir régénérateur.

 L’art de la pensée positive est une méthode qui existe vraiment en Norvège et y fait fureur. Importée des Etats-Unis,  elle consiste essentiellement en l’évitement des problèmes alors que « l’art de la pensée négative » prône au contraire la confrontation à ceux-ci. Pour notre plus grand plaisir de spectateurs malicieux.

 Ce « petit » film par le budget et la longueur (1H19 pour seulement 20 jours de tournage !) a reçu de nombreux prix, mérités, dans des festivals : Prix de la presse au Festival du Film Européen de la Réunion, prix de la presse aux Rencontres Internationales de Cinéma à Paris … sans compter de nombreuses sélections dans de prestigieux festivals comme ceux de Pusan, San Sebastian ou Montréal. La sortie en salles en France est prévue le 26 novembre 2008.  Je vous en reparlerai à cette occasion et vous le recommande dès à présent.

 Site internet du film : www.lartdelapenseenegative-lefilm.com

 Sandra.M


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