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De Niro's Game

Par Liliba

Rawi HAGE

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Une fois de plus gâtée par Chez les Filles et les Editions Denoël, j'ai eu la chance de recevoir le livre de Rawi HAGE, De Niro's Game. Lorsque Violaine m'a contactée par mail, je n'ai même pas lu le résumé du livre qu'elle me proposait, et accepté de suite car, vous commencez à me connaître, je suis définitivement livromaniaque et je ne peux jamais dire non si on me suggère de lire un ouvrage dont je n'ai pas encore entendu parler (d'où des PAL et LAL monstrueuses...).

De plus, j'ai la satisfaction de pouvoir me faire (un peu) mousser dans les dîners : "Comment ? Tu n'as pas encore entendu parler de ce livre ? L'éditeur me l'a envoyé, il faut absoooolumentabsoooolument le lire quand il sortira ! Oui... grâce à mon blog, je reçois des livres en avant première, ainsi que quelques autres blogueurs triés sur le volet, et, en contrepartie de ce livre offert, nous devons publier un billet sur nos blogs, même négatif si le livre ne nous a pas plu..." Ainsi qu'on l'entend partout, ÇA LE FAIT !!! et si cette expression est à mon goût parfaitement abominablement plouc, elle est, en l'occurrence, tout à fait appropriée !

Bref, mon égo réconforté par le fait d'avoir été à nouveau une des heureuses élues, j'ai abordé cette lecture d'une humeur guillerette, toute ravie d'échapper aux plâtres et poussières de ma maison en chambardement...

Et je suis tombée sur les gravas et cendres de Beyrouth, soulevés par les bombes écrasant la ville...

Et je suis tombée littéralement sous le charme de ce livre que j'ai dévoré en trois nuits à peine...

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Quatrième de couverture

Liban, début des années 1980. Campé dans un Beyrouth dévasté par les bombes, De Niro's Game est une odyssée chaotique, écorchée et haletante, une plongée vertigineuse au cœur de la guerre civile et de ses folies.
À Beyrouth-OuestBeyrouth-Ouest, Bassam et Georges, deux amis d'enfance, tuent leur ennui et leur mal de vivre à coups de petits boulots minables, de maigres larcins et de soirées trop arrosées. Les jours se suivent et avec eux les alertes, les morts, les immeubles en ruine. Les filles sont inaccessibles, muselées par les traditions et les couvre-feux. Entre deux visites aux copains de lycée engagés dans la milice, les deux jeunes gens s'imaginent coulant des jours meilleurs : Bassam rêve de fuir à l'étranger, et Georges, lui, se sent de plus en plus attiré par les discours belliqueux de la milice chrétienne.
Dans un ultime défi, les deux amis décident de détourner la recette de la salle de jeu où Georges travaille. Mais l'argent seul suffira-t-il à les éloigner de la guerre et à sauver leur amitié ?
Porté par une écriture sans concessions, le premier roman de Rawi Hage annonce, au-delà de la puissance du récit, l'avènement d'une nouvelle voix.

Le style de l'auteur, effectivement, martèle le récit comme les bombes rythment la vie de Beyrouth en cette époque de guerre civile. Les phrases sont incisives, les mots lancés tels des obus, directs, coupants, nets et atteignant leur cible : celle de nous faire vivre par la lecture la terrible période de destruction de cette ville, autrefois pôle de culture et d'ouverture au monde extérieur, celle aussi de nous faire entrer de plein fouet dans le quotidien des gens simples, des gens qui tentent tout simplement de vivre, de survivre au milieu des bombardements, des décombres, de la violence, de la haine et la bêtise humaine, attisés par la peur de mourir ou de tout perdre en une seconde.

Les quelques premières pages, fortes en images et couleurs, odeurs et bruits (on se croirait presque au cinéma) m'ont pourtant un peu destabilisée, tant la force qui s'en dégage est dérangeante, impressionnante. Cependant, l'auteur, avec un art immense, réussit le tour de force de ne pas tomber dans le voyeurisme, ni dans un pathos sentimental tant rebattu dans certaines littératures sur ce pays ou ses voisins. Sur fond de guerre, certes omniprésente dans le récit, le lecteur arrive à s'attacher aux personnages, à Bassam, tenaillé par le désir inextinguible de partir (Rome, la France !) qui a compris que nul avenir ne l'attend plus dans son propre pays, et à son ami Georges, qui lui au contraire est attiré par les discours véhéments de la milice, par la force qu'elle déploie et le pouvoir qu'elle donne à ceux qui adhèrent à sa loi. Bravant l'ennui et la conscience du "non-avenir" qui les attend dans cette ville sinistrée, cherchant dans l'alcool et la drogue une évasion factice, pariant sur leur chance à rester vivants comme on joue à la roulette russe, les jeunes gens vivent au jour le jour, cherchant par tous les moyens et combines à gagner un peu d'argent, à séduire des filles, à s'amuser, bref à avoir malgré tout un semblant de vie normale. Et même quand les deux amis prennent des chemins divergents, qui deviendront opposés, et on les suit avec toute la tendresse qu'on a pour eux, comme une mère pour ses enfants, en les excusant par avance de leurs vilenie, de leur erreurs, en les aimant et en ayant envie de les protéger : surtout qu'il ne leur arrive rien ! Mais nous ne décidons pas de leur sort, nous ne sommes que des lecteurs, et l'auteur nous emmène, ainsi peut-être qu'il a du le faire lors de son propre exode hors de son pays, sur les pas de Bassam qui, peut-être, parviendra à atteindre son rêve...

S'il faut une critique à ce roman, je trouve que la troisième partie n'est pas aussi puissante, moins intéressante que les deux premières parties (haletantes, passionnantes, on est entre le roman d'aventure, le polar et le documentaire) car contenant moins d'action. Mais j'ai lu ce livre avec passion, et ne saurais trop vous le recommander : du bel ouvrage ! Voilà un auteur prometteur et je ne manquerai pas de lire ses prochains écrits.

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Rawi Hage est né à Beyrouth en 1964, et il quitte le Liban après la guerre civile, en 1992. Il vit depuis à Montréal. Conservateur, il partage ses activités entre les arts visuels et l'écriture. De Niro's Game, son premier roman, écrit en anglais (sa troisième langue après l'arabe et le français) a obtenu de nombreuses récompenses au Canada, dont le prix des Libraires de Québec et le Prix Impact ainsi que le prestigieux Impac Dublin Literary Award.

Quelques blogueurs l'ont déjà lu (dont les Canadiens il y a quelques temps déjà), et je n'ai trouvé aucune critique négative. L'avis de Thom, de Kathel, celui de Caro(line), de Tamara , de Brize et celui de Karine. Jules l'a lu il y a quelques mois sous le titre "Parfum de poussière".

J'ai comme toujours sûrement oublié beaucoup d'entre vous... Veuillez m'excuser et me laisser un petit comm, je vous rajouterai à la liste des liens !

Extraits :

"Les bombes tombaient comme la mousson sur l'Inde lointaine. J'étais agité, prêt à tout, j'avais besoin d'argent, d'un meilleur boulot. Je travaillais au port. Opérateur de treuil. On déchargeait des navires remplis d'armes qui portaient des numéros de série hébreux, anglais ou arabes. Des fois, c'était une cargaison de pétrole qu'il fallait transvaser à l'aide de gros tuyaux dans des camions-citernes. Les fruits venaient de Turquie. Les moutons morveux qui poussaient des bêlements inquiets aussi. Nous, on vidait tout. Quand il s'agissait d'une livraison d'armes, toute la zone était cernée par les jeeps de la milice. On déchargeait toujours la nuit. Aucun éclairage n'était permis, même pas la lueur d'une cigarette. Après le quart de nuit, je rentrais chez moi et je dormais toute la journée. Ma mère faisait la cuisine en maugréant. Les rares fois où je travaillais au port ne suffisaient pas pour les cigarettes, pour faire taire ma mère, pour acheter à manger. Où aller, qui voler, escroquer, supplier, séduire, déshabiller, palper ? Assis dans ma chambre, je contemplais le mur couvert d'images étrangères : posters fanés d'idoles prépubères, de blondes aux dents blanches éclatantes, de footballeurs italiens. Je me disais que Rome avait l'air d'un bon endroit où se promener librement. Les pigeons, sur les places, avaient l'air heureux. Bien nourris."

"Dix mille cigarettes avaient roulé entre mes lèvres, un million de gorgées de café truc m'avaient brûlé le gosier. Je pensais à Nabila, aux machines à poker, à Rome. Je pensais à quitter cet endroit. J'ai allumé la dernière bougie, bu au seau d'eau, ouvert et refermé le frigo. Il était vide et ça fondait à l 'intérieur. Pas un bruit dans la cuisine : la radio que ma mère avait descendue avec elle dans l'abri antibombes jouait désormais pour les rats et les familles entassées les unes sur les autres. Quand les bombes pleuvaient, l'abri se faisait maison, palais de sucre, camp de jeu pour les enfants, cuisine et café, lieu saint, lieu sombre, lieu sûr avec un poêle, des matelas de mousse et des jeux de société. Mais ça sentait le renfermé et j'aimais mieux mourir en plein air".

"Debout au milieu de la chaussée, je me suis roulé une cigarette. J'ai inhalé, expiré : la fumée qui sortait de ma bouche s'étalait comme un bouclier. Les bombes tirées vers moi ricochaient dessus et repartaient d'un bond jusqu'au ciel, vers de lointaines planètes."

Un grand Merci

à 

chez_les_filles
et   
_ditions_denoel


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