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Le nom des personnes

Publié le 28 septembre 2008 par Gregory71

Ils avaient disparu avec leurs noms. Chaque fois qu’ils avaient été prononcé, il ne restait plus que leurs noms. Le corps, la présence, les gestes, toutes ces choses qui font un être humain avec son tissu de singualrités, avaient disparus. Il suffisait de prononcer un nom pour que son porteur devienne invisible. Il s’était longtemps demandé les raisons de cet effacement et avait échafaudé des théories plus ou moins complexes sur la relation entre le mot et son référent. Il s’était demandé pendant de longs moments, quel avait été le premier et qui déclenchait l’autre. Il s’était aussi dit que pour prononcer cette différence entre les deux, il utilisait des mots et qu’il s’enfermait ainsi d’avance dans ce problème irrésolu. Il avait essayé une autre méthode et encore une autre. Moins il y avait de corps dans la rue, plus les noms étaient audibles. On ne savait même plus qui les prononçait, c’était comme des voix sans support qui affleuraient dans les allées urbaines. La ville était désertée. Les rues n’étaient plus de passage, la maigre vie qui continuait, se cachait dans les immeubles détruits, dans les sous-sols, dans les trous. Il y avait les prénoms bien sûr, mais aussi simplement les désignations relationnelles, comme par exemple: père, mère, fils, fille, mari, femme, ami, amie, amant, amante, amour, amour. En les prononçant, ils disparaissaient aussi, effaçant dans le langage ce qui pourtant lui avait résisté.

Souffrait-il de cette situation? Son insensibilité ne lui permettait pas de trancher la question. Il restait impartial et il savait simplement qu’il suffisait à une chose d’être prononcée, pour ne plus être. Peut-être restait-elle dans le monde, cette chose nommée, mais en tout cas elle devenait inaccessible, constituant sans doute au fil des années, des résidus formant à force d’entassement des plaques géologiques. Il s’interrogeait: vais-je disparaître aux yeux des autres et continuer à être conscient de ma présence, ou simplement vais-je être absorbé par le mot et ne plus être, ni pour les autres, ni pour moi? Pour l’instant, il était, en tout cas il aimait à penser que ce qu’il percevait du monde était encore la garantie de son existence partagée entre lui-même et ces gens connus et inconnus qu’il croisait. Personne n’avait-il donc prononcé son nom? Personne ne pensait-il à lui? Il restait présent parce qu’il était absent du langage.


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