Magazine Beaux Arts

Embrassé sur la bouche

Publié le 29 septembre 2008 par Marc Lenot

Jiri Kovanda est un maître des performances furtives, des happenings discrets. Dans le Prague communiste de sa jeunesse, il manifestait sa différence avec des petits évènements urbains que nul ne pouvait soupçonner, qui pouvaient passer pour des accidents banals, mais qu’il documentait soigneusement et qui étaient parfois photographiés. Il s’appropriait l’espace public, brisait pour un instant la bulle à l’intérieur de laquelle les passants praguois évoluaient, il dérangeait imperceptiblement, bâtissant ces relations éphémères avec ses concitoyens : marchant dans la rue les bras écartés, bousculant un passant sur deux, regardant fixement son voisin dans l’escalator, courant soudainement.

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Aujourd’hui ses performances se pratiquent non plus anonymement dans les rues d’une ville grise, mais dans des centres d’art et musées, avec annonce, photos, critiques, le tout bien inséré dans le monde de l’art. Le programme Playtime à Bétonsalon, qui vient de se terminer, était plein d’oeuvres discrètes, de performances à peine visibles. Comme il l’a déjà fait trois ou quatre fois (dont celle-ci à la Tate), Jiri Kovanda embrassait les passants sur la bouche, à travers une porte vitrée : dérangement modéré, aseptisé, sans risque, inscrit dans l’espace, questionnement de l’intime et du public (Kissing through Glass).

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A côté, dans l’encoignure d’une fenêtre, on remarquait à peine une jeune femme lisant, de loin on s’étonnait un peu de la voir remuer les lèvres, on s’approchait, l’écoutant lire à mi-voix, on restait près d’elle, enchanté par sa lecture. Chaque jour, pendant une heure, elle (ou une autre) était là, lisant, toujours le même livre, en boucle, Espèces d’espaces de Perec (encore !). Devant elle, des planches en bois chaque jour arrangées différemment, appuyées au mur, découpées en morceaux chaque jour plus petits, parsemées au sol selon un schéma prédéfini. L’étrangeté poétique de cette occupation de l’espace était renforcée par le texte du livre, parlant de domaines, de frontières, de passages. Je suis resté longtemps, seul auditeur ce jour-là auprès de ‘ma’ lectrice, charmé, désinstallé. Cette performance, ce protocole sur les dix-huit jours de Playtime, est dû à Katinka Bock (Lecture quotidienne).

Photo Kovanda par Michael Eric Dietrich. Photo Bock par l’auteur.


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