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Un article de Chantal Chemla : la kahina

Par Bernard Vassor

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LA KAHINA

C’est un personnage historico-légendaire, dont on ne connaît avec certitude ni son vrai nom, ni la religion à laquelle elle appartenait, ni même le lieu et la date exacts de sa mort (sans parler de sa naissance !). On ne sait même pas si son surnom (La Kahina, ou la Kahéna ?) vient de l’hébreu koha , prêtre, descendant d’Aaron, frère de Moïse (Cohen), ou de l’arabe (prophétesse). L’Encyclopedia Universalis conclut son article sir la Kahina par ces mots :  « L’histoire de cette femme fougueuse et indomptable (la « Déborah berbère ») est en grande partie légendaire : les romanciers s’en sont emparés. » Peu de certitudes. En effet, la plupart des sources proviennent de récits traditionnels. Ibn Khaldoun (1333-1379), qui est le seul à manifester esprit critique et désir de comprendre et d’expliquer, écrit sept siècles après les événements. Voici ce qu’il en dit :

Une partie des Berbères professait le judaïsme, religion qu’ils avaient reçue de leurs puissants voisins, les Israélites de la Syrie.. (……)

Parmi leurs chefs les plus puissants, on remarqua la Kahéna, reine du Mont-Aurès, et dont le vrai nom était Dahia, fille de Tabet, fils de Nicin. Sa famille faisait partie des Djéraoua, tribu qui fournissait des rois et des chefs à tous les Berbères descendus d’El-Abter.

Le khalife Abd el-Melek fit parvenir à Hassan ibn-en-Noomane el-Ghassani, gouverneur de l’Égypte, l’ordre de porter la guerre en Ifrikia … El-Hassan se mit en marche, entra dans Kairouan puis emporta d’assaut la ville de Carthage. Après cette victoire, il demanda quel était le prince le plus redoutable parmi les Berbères, et, ayant appris que c’était la Kahéna, femme qui commandait à la puissante tribu des Djeraoua, il marcha contre elle … Mais cette dernière mena ses troupes contre les musulmans et, les attaquant avec un acharnement extrême, les força à prendre la fuite après leur avoir tué beaucoup de monde … La Kahéna rentra dans son pays et continua pendant cinq ans à régner sur l’Ifrikia. Hassan revint en Afrique à la tête de nombreux renforts. À son approche, la Kahéna fit détruire toutes les villes et fermes du pays, depuis Tripoli jusqu’à Tanger. Mais elle fut abandonnée par ses alliés qui virent avec un déplaisir extrême la destruction de leurs biens … La Kahéna fut battue et tuée dans le Mont-Aurès. L’offre d’une amnistie générale décida les vaincus à embrasser l’islam.

Ibn Khaldoun
(Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l’Afrique, traduction par De Slane,1852.)

(Texte cité par Didier Nebot, dans les sources historiques de son roman La Kahéna reine d’Ifrikia, éd. Anne Carrière, 1998)

C’est à partir de ce texte que vont naître et se développer différentes versions de la légende de la Kahina. Elle a reçu différents surnoms, plus ou moins justifiés : la « Déborah berbère » (Georges Marçais), « la Jeanne d’Arc africaine », et aussi « la Judith berbère ».

Que dit l’Histoire ?

À la fin du VIIe siècle, en Afrique du Nord :

·   Les Byzantins tiennent Carthage

·   Les Berbères, anciens habitants du pays, sont divisés par leur mode de vie (nomades ou sédentaires, agriculteurs ou citadins commerçants) et leur religion (chrétiens ou juifs, sans compter les restes de religions punique ou animiste)

·   Les Arabes arrivent de l’est et tentent, dès 647, de pénétrer en Ifriqyya. Mais ils rencontrent une résistance longue et farouche, alors qu’ils n’avaient rencontré aucun obstacle sérieux dans la conquête de l’Égypte et de la Cyrénaïque.

Le déroulement des évènements.

En 670, ‘Oqba ibn Nafi‘ fonde Kairouan (< qairawân : place d’armes), première ville musulmane au Maghreb. Il multiplie les raids vers l’ouest. Kosaïla, berbère chrétien, prince des Awraba, est fait prisonnier.

C’est à peu près à cette époque que commence vraiment l’histoire de la Kahina.. Jusque là, on peut imaginer son enfance : une petite fille, pas tout à fait comme les autres. C’est une fille de chef. Est-elle fille unique ? C’est une hypothèse généralement admise, pour expliquer qu’elle soit devenue chef, même si chez les Berbères les femmes n’étaient pas asservies aux hommes, et le matriarcat n’y avait rien de scandaleux. Le prénom qu’on lui attribue le plus souvent est Dehya, ce qui signifie « la Belle » en berbère. Quelle éducation a-t-elle reçue ? Sans doute l’éducation traditionnelle des femmes (apprendre à filer, à tisser, à faire la cuisine …), mais elle a probablement aussi appris à monter à cheval et à manier les armes.

Tout ce qui précède relève des hypothèses, puisqu’on ne sait rien de la vie de la Kahina comme personne. C’est lorsqu’elle est mêlée aux événements de son époque qu’elle entre vraiment dans l’histoire.

Donc, en 675, Abou-el-Mohajir, nommé gouverneur de l’Ifrîqiya à la place d’Oqba tombé en disgrâce, fait prisonnier Koçeïla, prince des Awraba. Mais en 681 Oqba revient, et il aurait entrepris alors un grand raid dans le Maghreb. Il traînait dans sa suite Koçeïla, converti à l’islam pour sauver sa vie, et à qui il ne ménageait pas les affronts, traitant ce prince en esclave. Grâce à ses partisans, dissimulés dans la ville de Tahouda, il est libéré et Oqba est tué. Koceïla devient pour trois ans le véritable chef de l’Ifriqiya

Trois ans après, nouvelle offensive arabe, sous le commandement de Zohaïr ibn Qaïs, qui livre bataille aux troupes de Koçeïla à Mems, près de Kairouan. Les Arabes remportent la victoire et Koçeila est tué (686). Mais les Arabes se retirent en laissant une garnison à Kairouan.

À la suite de la disparition de Koçeila, les Awrâba perdent leur hégémonie sur les Berbères, et ce sont les Djerawa qui vont prendre la tête de la résistance : les Djerawa, c’est-à-dire la Kahina, qui devient alors « reine des Berbères ». Elle le restera cinq ans.

Après la prise de Carthage par Hassan ibn en No‘man el-Ghassani (695), la Kahina parvient à fédérer les Berbères et remporte une victoire sur les Arabes sur les bords de la Meskiana. Mais cette victoire va avoir des conséquences tragiques pour la Kahina. En effet elle déroge au principe des Berbères : les prisonniers doivent tous être tués. Or, parmi les captifs se trouvent un tout jeune homme, Khaled, dont la beauté et la jeunesse émeuvent la Kahéna. Pour le sauver, elle décide de l’adopter, suivant une vieille coutume berbère.

Khaled, pour autant, ne renonce pas à assurer la victoire des Arabes. Il observe, espionne. Il arrive à communiquer avec Hassan en dissimulant ses messages dans une boule de pain.

Cependant les dissensions entre Berbères, accrues par la partialité de la Kahina dans le partage du butin, les affaiblissent.

Hassan, encouragé par les messages reçus de Khaled, prépare une nouvelle offensive. Mais, cette fois, c’est contre des Berbères désunis que Hassan mène son offensive, d’autant que la Kahina, voulant prévenir le retour des Arabes, fait saccager le pays, appliquant la politique de la terre brûlée et « ne laissant debout ni arbres ni murailles »[i] (C.-A. Julien).  On comprend que citadins et cultivateurs, qu’il fussent grecs ou indigènes, lui en aient tenu rigueur. La bataille eut lieu sans doute près de Tabarka. La veille, la reine aurait ordonné à ses deux fils de passer à l’ennemi et de se convertir à l’islam. La tradition la plus répandue veut qu’elle ait été tuée près d’un puits nommé depuis Bîr el-Kahina, et que sa tête ait été envoyée en trophée au calife.  

« Sa mort peut être considérée comme la fin de la résistance armée des Berbères contre les Arabes. De fait, lorsque, en 711, Tariq traverse le détroit auquel il a laissé son nom (Gibraltar : Djebel-el-Tariq) pour conquérir l’Espagne, son armée était essentiellement composée de contingents berbères et Maures »[ii] (Gabriel Camps, Les Berbères. Mémoire et identité)  

Pour ceux que cette histoire intéresse, citons quelques romans écrits à propos de la Kahina :

·   Roger Ikor, La Kahina, éditions ENCRE, 1978

·    Pol Serge Kahon, Kahena la magnifique, éditions de l’Instant, 1990

·    Abdelaziz Ferrah, Kahina, éditions Marinoor, Algérie 1997

·    Didier Nebot, La Kahéna reine d’Ifrikia, éditions Anne Carrière, 1998

·   Gisèle Halimi, La Kahina, Plon, 2006



[i] Charles André JULIEN, Histoire de l’Afrique du Nord des origines à 1830, grande Bibliothèque Payot.

[ii] Gabriel CAMPS, Les Berbères. Mémoire et identité, éd. ERRANCE, 2002


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