Le monde est mutilé, Maurizio Kagel est mort, depuis quelques semaines. Je ne l’ai appris qu’avant-hier. Pour l’occasion ils ont joué deux des Dix marches pour rater la victoire. Il était déjà bien placé, dans nos esprits, aux côtés de Satie. Je n’oublie pas le spectacle qu’il avait mis en musique et en scène : du cirque, des acrobates, des musiciens joueurs. Il jouait effectivement, en enfant, en ironiste, en philosophe. On peut dire de sa musique qu’elle est ludique, si on veut, mais aussi qu’elle est un formidable pied-de-nez au monde musical, non seulement au milieu des compositeurs sérieux, qu’il surpassait allègrement par son originalité, son humour, son art polymorphe, mais aussi un coup de coude au milieu des mélomanes sérieux, ou à celui des musiciens trop trop beaucoup trop sérieux. Ils les obligeaient, s’ils l’écoutaient, à se remettre en question. Tu veux écouter Beethoven dans les conditions de l’époque, écouter le vrai, l’authentique son de Beethov ? Alors écoutons-le comme il s’entendait : sourd comme un pot (Ludwig Van – il en a d’ailleurs fait un film : le compositeur, dans son costume habituel, descend du train et visite sa maison (ce qu’elle est devenue), contemple sa statue, observe les débats qui agitent les critiques de son œuvre, à la télé : un régal) ; il alliait alors la prouesse d’intégrer des thèmes, des allures beethovénienne à une œuvre d’une modernité à foudroyer les vieilles de la salle Pleyel, à la polysémie fascinante, à la gaité vivifiante.
(j’écoute le disque qu’Alexandre Tharaud et d’autres ont consacré à Maurizio Kagel, chez æon)