Magazine Humeur

Trader en chambre

Publié le 05 octobre 2008 par Jlhuss

par Arion

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Avouez qu’on s’ennuyait un poil. Vent de Beaufort force 2, mer plate. Bernard Thibaut abandonnait décidément la rue aux pigeons de Paris, volatiles à peine moins syndiqués que la classe ouvrière ; Olivier Besancenot continuait de marmiter dans son coin sa mystérieuse recette de haricots rouges ; Carla Bruni, dans l’indifférence d’un peuple qui en a tant vu, dépouillait son jean de chanteuse cool pour renfiler sa robe de première dame , tandis que Bernard Tapie rameutait les flonflons du bal pour entonner devant un Bayrou médusé l’air salé du père Dupanloup : bref, roule ma poule et pince-moi si je m’endors.

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Puis soudain, vlan, déboulée de l’Ouest comme un troupeau de bisons, la grande contagion des subprimes. Avouons que c’est à la fois plus romanesque que la vache folle, jusqu’à présent moins pathétique qu’un tsunami et plus burlesque qu’un meeting de Mme Royal. Voilà t-il pas que le capitalisme, lassé d’être sans rival, s’amuse à se donner tout seul le frisson du Grand 8. En voiture jeunesse, attachez vos ceintures, c’est parti pour un tour ! Dans les fêtes foraines, il y a toujours ceux qui regardent perplexes en bas et ceux d’en haut qui sentent leur estomac leur chatouiller la glotte. Ils hurlent et vous hochez la tête : si ça leur fait plaisir… Vous reculez quand même de dix pas, des fois qu’une nacelle s’écraserait par terre et vous en dessous, qui ne faisiez que manger de la barbe à papa en levant le nez, ce ne serait pas juste.

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C’est un peu ce que disaient vendredi au marché mes deux bonnes femmes, ces ménagères de bien plus de cinquante ans, qui se flattent de ne pas vous déplaire.

- Oh là là, m’ame Michu, savez-vous ce qui m’arrive ?

- Non mais n’importe, m’ame Daube, c’est toujours mieux que rien.

-Figurez que j’ai mon neveu à manger, midi et soir depuis huit jours.

- J’espère qu’il est tendre.

- Pensez-vous ! un jongleur de finance internationale, un trader, comme on dit, si vous voyez ce que ça donne par les temps qui courent.

- C’est comme ça, m’ame Daube, y a souvent un mouton noir dans les familles. De mon côté, paix à son âme, c’était le premier mari de la cousine germaine de mon beau-frère. Il buvait sans soif, et pas du meilleur, je vous prie de croire. C’était dans les années soixante en Saône-et-Loire, on le retrouvait régulièrement dans le fossé avec sa vespa en train de chanter « J’ai pas tué, j’ai pas volé ». Les chiens aboyaient jusqu’en haut du village.

- Mon neveu, lui, n’aime que les grands crus et roule en « classe E ». Enfin, je devrais dire « roulait ». Sa banque a roulé dans le fossé, ça oui, et la fortune du petit avec, si j’ai bien compris. J’ai pas vu la « classe E », il prend la Laguna d’Albert, qui n’avait pas tourné depuis les obsèques.

- Ne me dites pas, m’ame Michu, qu’on compte sur votre pension d’RATP pour renflouer le navire !

- Je sens vaguement que ça pourrait venir. Ma sœur m’appelle la semaine dernière  : « Marthe, qu’elle me dit, toi qui as la chance d’avoir une jolie maison dans la petite couronne, est-ce que tu peux héberger Greg ? Un mois, deux mois, guère plus, tu le connais, sensible, très famille, il lui faut un climat chaleureux et la proximité de la Défense pour rebondir. »

- Alors ?

- Alors il est là, qu’est-ce que je pouvais dire ? Je lui ai donné la chambre d’Albert. En fait de Défense, il ne décolle pas de son ordinateur et moi plus besoin d’allumer le poste : j’ai qu’à voir sa tête à table pour connaître les cours de la Bourse.

- Et il rebondit quand ?

- Il paraît que ça vient. En attendant, c’est la cave du défunt qui baisse. Hier, pour fêter le  sauvetage public, suivez-moi bien, m’ame Michu, d’une banque berlinoise liée à une madrilène dont dépend l’éventuelle résurrection d’une londonienne cul et chemise avec la sienne, voilà qu’il me remonte un Chambertin 1975  : « Allez tantine, on trinque !», qu’il me dit, « A la santé de l’économie de marché !». Bien beau, mais moi, mes économies au marché, depuis qu’il est à la maison, peau de balle ! Monsieur n’aime pas la dinde, il trouve que le collier d’agneau sent trop fort. Je lui fais du rond de tranche grasse à 35 euros le kilo, par respect pour ma sœur et parce que je ne voudrais pas qu’une indigestion empêche le fiston de rebondir en même temps que de plier bagage, car j’en peux plus, m’ame Michu, encore huit jour comme ça et je vire socialiste, ou carrément pauvre.

- Choisissez socialiste, m’ame Daube, c’est moins risqué, même en temps de crise. Comme dit mon  coiffeur, il vaut mieux avoir un compte courant de Hollande qu’un compte là-dessus du Zimbabwé !

- Du Zimbabwé ! Oh là là, vous me faites trop rire, m’ame Michu ! Tenez, franchement, je vous aurais préféré comme sœur, et vous au moins vous n’avez pas un golden boy à refiler dans les pattes… Devinez ce que m’a sorti le trader, l’autre soir, en finissant le Chambertin ? « Tantine, si je me refais, si Sarkozy renfloue et que j’ai mon parachute, tu sais quoi ? je te paye huit jours aux Bahamas ! » Je croyais entendre mon pauvre Albert embrassant son billet de Millionnaire avant le tirage.

- Quand même, un bon petit cœur, ce neveu !

- Les Bahamas, m’ame Michu ! Je ne sais pas nager.

- Lui si, m’ame Daube, et dans tous les sens. M’est avis qu’il va pas tarder à rechausser les palmes. Si j’étais de vous, j’achèterais sans traîner la crème solaire et le paréo. »

Arion

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