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De l’art ?

Publié le 06 octobre 2008 par Marc Lenot

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L’exposition en cours au Palais de Tokyo, une carte blanche à Jeremy Deller intitulée D’une Révolution à l’Autre (jusqu’au 4 Janvier) ne présente pas des oeuvres d’art. Elle nous montre principalement des objets ou des pratiques ordinaires, mais marginales, qui ne se prétendent pas artistiques, qui n’ont pas vocation à être montrées dans un centre d’art, ni considérées comme des oeuvres d’art. Deller et son complice Alan Kane ont assemblé une collection d’objets et une documentation sur l’art populaire anglais, pratiques folkloriques un peu étranges, objets faits en prison ou au bureau, le genre de choses qu’on fait quand on s’ennuie ou qu’on est bourré, ou les deux. Cela semble relever plus de l’anthropologie, du défunt Musée des Arts et Traditions Populaires, que de l’art contemporain, et du Palais de Tokyo. Le plus souvent, on passerait devant ces objets, ces photos sans même les remarquer, ou avec un petit sourire en coin, mais ici, on regarde. Y a-t-il une part de condescendance, d’intellectualisation dans une telle exposition ? Peut-être, de la part de l’institution et des visiteurs; sûrement pas de la part de Jeremy Deller, chantre des luttes ouvrières, qui n’a nullement adopté, malgré le succès, l’approche distante, voire méprisante, d’un Martin Parr.


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On est frappé par ces comportements à la limite du danger, jouant avec le feu (Ottery St Mary), avec la bagarre (Swaying the Hood), explorant des limites sociales (clochard ci-contre); ce sont parfois des comportements de masse, en société plutôt que des déviances individuelles, mais parfois aussi des affirmations de l’individu face à des règles sociales trop strictes, des personnalisations, des différences (ainsi le superbe festival de grimaces d’Egremont), des protestations (et on pense à Mark Wallinger).
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Le plus frappant, ce sont les bannières créées par Ed Hall pour des syndicats en tous genres. C’est comme une seconde exposition en hauteur. Les cordons du poêle pendent.

Par ailleurs, toujours sous l’égide de Deller, trois expositions musicales. L’une réjouit les nostalgiques de ma génération, pour qui le Golf Drouot fut le temple des yés-yés; elle provient des réserves du Musée des Arts et Traditions Populaires et c’est un plaisir de la voir resurgir ici, en attendant Marseille, un jour. Et, à en juger par l’assistance, elle semble intéresser aussi des visiteurs plus jeunes que les anciens fans de Salut les Copains et de Âge tendre et tête de bois, qui viennent retrouver là Johnny, Eddy, Dutronc, Sylvie, Sheila, etc…

Une autre présente de manière très scientifique les développements de la musique électronique en URSS dans les années 20 et 30; on y mentionne en particulier une symphonie de sirènes de bateaux dans le port de Bakou, qui dut être du plus bel effet.

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La troisième juxtapose le déclin industriel de l’Angleterre et l’émergence de la culture rock : tout ce qui avait solidité et permanence s’envole en fumée;
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il y a en particulier la superbe photo du catcheur efféminé Adrian Street avec son père mineur de fond, confrontation et juxtaposition de deux cultures. Par contre, la présentation de l’artiste naïf / brut américain William Scott ne s’intègre guère dans cet ensemble : débile léger et utopiste, il semble trop éloigné des lignes de force européennes et sociales qu’on retrouve dans le reste de l’exposition.

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Enfin, signalons dans un des modules la vidéo No Show de Melvin Moti (jusqu’au 26 Octobre) qui montre une visite guidée du Musée de l’Ermitage à Leningrad en 1943 par Pavel Gubchevsky : tous les tableaux ont été évacués de la ville assiégée par la Wehrmacht et le guide emmène un groupe de soldats soviétiques de salle en salle devant des cimaises vides. Il décrit les tableaux qui furent là, non pas ce qui fut, mais ce qui s’est imprimé dans sa mémoire et sa parole fait naître l’imagination, donne consistance au vide. La vidéo est un plan fixe d’une salle du musée où peu à peu la pénombre s’installe. Seul le son, et les sous-titres pour les non russophones ponctuent le déroulement de la vidéo. Sophie Calle s’était essayé au genre, mais ici la dimension abstraite, conceptuelle de cette absence présente est beaucoup plus intense.


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