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Comment ça commence...

Publié le 06 octobre 2008 par Stéphane Kahn

Gentil petit consommateur déjà, le Prisunic de la rue du Poteau était vite devenu ma destination préférée. Le rayon disques plus précisément. Un bien maigre choix très probablement, mais dans mes yeux d'enfant une vraie caverne au trésor. C'était avant que les grands magasins et les enseignes spécialisées m'ouvrent, à quelques stations de métro de là, leurs portes ; un peu avant que certaines bibliothèques parisiennes, celle de la rue Hermel notamment, intègrent à leurs fonds 33 tours et musicassettes. Avant que j'emprunte et copie compulsivement sur cassettes vierges tous ces albums que je découvrais d'un coup ( News of the World, Queen Live Killers, putain !). La préhistoire : avant le compact disc, bien avant que nos lieux de perdition préférés - aux rayons disques désormais désertés - se dotent de bornes d'écoute...

Avant cela, donc - entre la coupe du monde de football en Espagne et le championnat d'Europe en France - je descendais régulièrement mes trois étages du 65 rue Marcadet, empruntais la rue Simart, la rue Ordener, traversais la place Jules Joffrin, passais, indifférent, devant la Mairie (sans me douter qu'on y élirai plus tard un maire socialiste), prenais la rue du Poteau enfin. Ses commerçants, son marché, cette rue donc - ma rue ! - combien de fois arpentée !? Avec l'argent de poche, chaque semaine, dans cette enseigne qui n'existe plus (Prisu !), j'allais acheter un (plusieurs ?) 45 tours. Bien dans "les p'tits clous". Une chanson entendue à la radio. Un morceau diffusé dans le Top 50, l'émission-phare d'une chaîne cryptée balbutiante. Milieu des années 80. Début de l'adolescence. Les premiers disques achetés seul. Pas ceux qu'on m'offrait. Ceux que je choisissais. Thriller de Michael Jackson (alors que je n'avais pas encore vu les films Hammer avec Vincent Price), mais aussi des trucs infâmes que la décence et la dignité m'interdisent de nommer.

RAF, Self Control - Nick Kershaw, The Riddle - Sting, Russians - Duran Duran, A View to A Kill - Dire Straits, Money for Nothing - Michael Jackson & Paul McCartney, Say Say Say - Phil Collins & Philip Bailey, Easy Lover - George Harrison, Got My Mind Set on You - Rod Stewart, Twistin' the Night Away - Jean-Jacques Goldman, Quand la musique est bonne - Herbie Hancock, Rockit - Break Machine, Street Dance - Indochine, L'aventurier...

Mes premières virées dans les rayons disques... Ce sont surtout les 45 tours qui traînent par chez moi qui en matérialisent le souvenir. Mais, aussi, je regarde avec dédain le môme prendre ce disque de Jean-Luc Lahaye. J'aurais honte si c'était le mien, de môme. Et pourtant c'était moi. Dans ces bacs à vinyles, qui , dans quelques années de musique numérisée, seront relégués au rang de souvenirs pour vieux esthètes mélancoliques, le petit Ska fouillant déjà...

Des 45 tours donc (beaucoup) et parfois des 33 tours. Ceux qui n'étaient pas chers : obscures compilations, invendus bradés ( Le testament du rock certes - avec Bill Haley, Fats Domino, Eddie Cochran - mais aussi Plastic Bertrand... oui, j'étais déjà punk, faut croire...).

Acheter mes disques. Vingt cinq ans que ça dure. Et ça n'a fait qu'empirer. Quel goût étrange j'avais alors ! Ces premières galettes n'avaient pas vraiment la saveur du rock indé ou de la pop anglaise. Je ne suis pas de ceux qui peuvent déclarer fièrement que leur premier disque fut un Beatles, un AC/DC, un Velvet... On croisait pourtant dans ma maigre collection de 45 tours le prince de la pop, d'anciens Beatles, un ex Police-Man, le batteur de Genesis, l'ancien chanteur des Small Faces, Bowie dansant dans la rue avec Jagger. Mais sinon...

Des disques en pagaille à la maison, une chaîne hi-fi, mais, apparent paradoxe, des parents pas particulièrement mélomanes, qui auraient aiguillé mon goût. Tout était à faire. À découvrir tout seul. Tant mieux. Souvenir, pourtant, des émissions de variétés à la télé, du choc - partagé par tous ceux de mon âge - de voir le clip de Thriller (on y revient toujours) un samedi soir druckerisé. Puis une grande sœur, quand même, dont l'influence, elle, se manifesterait plus tard, discrètement (à travers la découverte d'Higelin ou de Renaud, cassettes tant et tant écoutées - avec Thriller, l'album ; avec les disques de Philippe Chatel - sur son Walkman à l'arrière de la voiture).

Dans ma chambre, donc - celle sur cour, pas encore celle sur rue - j'écoute surtout des 45 tours, des "singles", dirait-on aujourd'hui. Les albums viendront doucement, un peu plus tard. En 1984, un de mes premiers 33 tours à moi, c'est Un autre monde de Téléphone. Pas si mal, très chouette même, n'en déplaise aux lecteurs éclairés qui viennent de s'étrangler en lisant pareille confession. Oui, pas si mal. Un peu mieux déjà que le double Live au Zénith d'une autoproclamée idole des jeunes déjà vieillissante, album pourtant usé sur mon tourne-disque jusqu'au creux du moindre sillon. Suivront, comme repères majeurs, Morgane de toi, acheté aux Puces de Saint Ouen (déjà !) avec mon père, Brothers in Arms et tant d'autres bientôt, comme Pop Satori ou comme mon premier album de hard rock ( !) dont le single éponyme ( The Final Countdown) squatta longuement la première place du Top 50.

Et sinon, ces 45 tours, c'était quoi ? De la variété un peu honteuse, du rock en français (Jesse Garon ou Francis Cabrel, quoi !), des tubes jetables et déjà périmés. Et - ouf ! - quelques rares perles pop qui s'aventurent encore parfois sur ma platine.

Bronski Beat, Why ? - Simple Minds, Alive and Kicking - Huey Lewis & the News, The Power of Love - Ray Parker Jr, Ghostbusters - Glenn Frey, The Heat is on - The Belle Stars, Signs of the Times - Irene Cara, What a Feeling - Rod Stewart, Infatuation - Duran Duran, The Reflex

On s'en sort pourtant. De tout ça, oui, on s'en sort.

À l'époque - et tandis que je découvrais aussi Springsteen et Queen - je n'avais pas honte d'écouter JJG ou Wham ! Aujourd'hui, même, je revendique complètement une affection durable pour Duran Duran ou A-ha. Quelle est la part, d'ailleurs, dans l'attrait pour ces deux groupes, de mon goût alors naissant pour l'image et pour le cinéma ? Le clip de Take on Me , réalisé par Steve Barron, fut un choc. Ceux de The Reflex, de Wild Boys - réalisés par Russell Mulcahy, faiseur tape-à-l'œil que l'on prendrait ensuite, le temps de deux films ( Razorback et Highlander), pour un grand cinéaste - des éblouissements. Alors que je ne savais pas que je passerai les années suivantes à vomir l'esthétique MTV et les eighties.

Mes 45 tours... Toujours là, rangés dans cette boîte à chaussures. Ne jamais m'en défaire. Même des pires. Des madeleines bien sûr, des souvenirs, mais surtout la trace de tâtonnements délicieux, stimulants, constitutifs d'un goût vacillant, à construire peu à peu. Et puis, au pire, les 45 tours, ça fait toujours marrer dans certaines soirées. Ça fait de nous, parfois, des champions du monde de blind-test. Et surtout ça repose du sérieux de l'incorruptible amateur de rock qui trop souvent oublie qu'un jour il eut des goûts de chiottes.


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