Cannes 2008, compétition, Philippe Garrel, sortie 8 octobre 2008
En voyant ce film, on a à l'esprit la relation cahotique, passionnée et quasi-suicidaire de Philippe Garrel avec Nico, ex-égérie de Wharhol, qui l'avait imposée au Velvet underground, artiste allemande ou davantage icône des sixties et ce n'est pas par hasard qu'un documentaire lui a été consacré bien nommé "Nico Icon" (1995). Une Nico rousse et non plus blonde, alors mère du fils qu'elle a eu avec Alain Delon (qui s'en défend) et que Garrel fait tourner, elle et lui, auprès de Pierre Clementi dans "La Cicatrice intérieure" en 1972. Quand Laura Smet se défend en interview que Garrel se soit servi de ses problèmes de toxicomanie à elle pour ce film, il est bien possible qu'il fasse référence à son passé à lui, la drogue, les électrochocs... C'est loin mais indélébile... Depuis, son cinéma poursuit son constat de désynchronisation de l'amour, de la fuite ultime, le suicide, à une position plus timorée, le rêve, le fantasme de l'autre échappée, disparue... Jamais Laura Smet n'a été si belle et si sublimement photographiée, à l'ombre de Nico...
Ci-dessous, mes impressions sur le film en sortant de la projection à Cannes en mai 2008 où le film fut honteusement hué en projection presse comme en projection festivalière...
Une histoire d'amour fou entre un photographe et une star de ciné, jeune actrice fragile et alcoolique, une histoire à la fois torride et abstraite dans le style Garrel avec focus sur les deux personnages seuls au monde qu'on ne voit pas dans d'autres activités de leur vie en dehors de leurs rencontres. Il sonne à la porte pour faire des photos, elle est entourée d'une bande de parasites qu'elle vire, mais, très vite, elle arrête la séance de pose. Le lendemain, elle a loué une chambre dans un hôtel pour les photos, ils ne se quitteront plus ou si peu. Carole, la star, est mariée à un homme qu'elle ne voit jamais sauf quand il revient à l'improviste et que François, son nouvel amant, s'échappe en caleçon sur le palier de l'appartement, scène dramatique vaudevillesque. François le prend mal, il refuse de revoir Carole, quelque chose s'est cassé.
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photo films du Losange Quand Carole tente de se suicider, François va tout de même la voir dans l'hopital psychiatrique où elle est internée. Quand on vient de lire l'interview de Laura Smet qui joue Carole où elle raconte son séjour à Sainte Anne et qu'elle est toujours sous traitement, on est interpelé que le réalisateur lui fasse jouer son propre rôle à moins que ce ne soit bien davantage son histoire à lui... Camisole de force, séance d'électrochoc, une complaisance ingénue à montrer. Ceci dit, la première partie se terminant sur la mort de Carole est la meilleure, Laura Smet est photographiée somptueusement et surprend par son jeu juste et sobre. Un an plus tard, François rencontre une autre femme et s'apprête à l'épouser mais le fantôme de Carole vient le hanter... Dans cette seconde partie, les interventions oniriques fantômatiques de la suicidée ont suscité les consternantes moqueries de la salle cannoise prédatrice, le fantastique poétique ne fonctionne plus...
photo films du Losange
Dans l'ensemble, si l'image et la mise en scène sont mille fois plus belles que dans la plupart des films, c'est un cinéma anachronique avec des comportements introspectifs et des discussions Nouvelle vague sur le comment du pourquoi des mécanismes amoureux, on s'observe, on se raconte, on se regarde souffrir... Un cinéma bavard et poétique qui n'a pas évolué depuis trente ans où on croirait voir Antoine Doinel/JP Léaud avec Louis Garrel qui le pastiche inlassablement. Quand on a pris l'habitude des cinémas réflétant l'état du monde, ça ne passe plus aussi facilement que du temps de Cocteau, on a le sentiment que le réalisateur est figé dans une époque, celle des années 70, sans doute l'époque où il aurait dû être sélectionné à Cannes où il vient pour la première fois, sa carrière étant plutôt derrière lui. Pas sûr que cette sélection à Cannes lui rende service où on le jette en pâture aux fauves entre deux fêtes people, un dîner caritatif à 5000 Euros le couvert et une partie de poker de stars...
Nico dans "La Cicatrice intérieure" de Philippe Garrel (1972)
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équipe du film "La frontière de l'aube" sur le tapis rouge, photo L'Oréal Cannes