Magazine Beaux Arts

Chagrins d’amour : Sophie et Fouad (Biennale Venise 1)

Publié le 18 juillet 2007 par Marc Lenot

à la Biennale de Venise, jusqu’au 21 Novembre.

Quelques jours épuisants sous le soleil, à courir de pavillon en pavillon, sans oublier quelques escapades plus classiques. Comment raconter tout cela, sinon par bribes, par impressions successives ? Je vais le tenter de mon mieux.

La Biennale est-elle sous le signe du tragique ? Reflète-t-elle la noirceur de notre époque ? Oui, souvent, la guerre, la tragédie, mais parfois aussi l’ironie. Oui, pour commencer, des ruptures amoureuses, mais pas sans espoir. 

Vous avez sans doute déjà entendu parler du travail de Sophie Calle dans le pavillon français (entrée ci-contre). Quittée par son amant, qui termine le message de rupture par “Prenez soin de vous“, elle demande à 107 femmes d’interpréter cette lettre de rupture, de la comprendre à sa place en quelque sorte. Ces femmes sont connues ou non, éloquentes ou non. Elles sont écrivaines, psychologues, avocates, philosophes, actrices, mais aussi flic, espionne, voyante, comptable, ou tireuse à la carabine (Sandy Morin, ci-dessous); il y a aussi deux marionnettes et un perroquet. Chacune est photographiée, à côté de son texte, de sa réaction filmée sur vidéo ou d’une autre forme d’expression.
Le message de rupture est retravaillé, réécrit, traduit, corrigé, raturé, la feuille qui le reproduit est dansée, chiffonnée, déchirée, actée, trouée de balles. La compassion s’exprime de toutes sortes de façons, presque toujours plus pour la cause (la femme abandonnée) que pour la personne (Sophie Calle).
Il y a bien sûr plusieurs manières de regarder ce travail. Si on est un peu familier de Sophie Calle, le processus de collection, d’accumulation, la quête de témoignages, les multiples regards sur une situation, comme un diamant à 107 facettes, fascinent, voire hypnotisent, et on passe des heures dans le pavillon, lisant tout, écoutant tout, cherchant des séries, un réseau de lignes reliant l’une à l’autre. Si on est moins à l’aise avec cette absence de démarcation entre vie privée et vie publique, ou si, pour une raison ou une autre, on est personnellement affecté par une telle situation, notre réaction devient plus émotionnelle, et nous nous impliquons, nous nous surprenons à manifester de la sympathie ou de l’animosité vis à vis de tel ou tel témoignage.

Je vous en livre donc trois ici parmi les 107, trois qui me touchent plus que d’autres:
- professionnellement, celui d’une chasseuse de têtes, Christiane Cellier, au jugement caricatural plutôt horripilant (ci-contre, cliquez pour lire);
- politiquement, celui d’une diplomate, Leila Shahid, tout en mesure et intelligence;
- et sentimentalement, celui d’une écrivain, Christine Angot.
Au milieu du concert de sympathie pour la femme quittée et de critiques venimeuses de l’amant, Christine Angot est quasiment la seule à oser parler autrement:
“ Si Sophie l’avait vraiment aimé autant qu’elle le disait, elle n’aurait pas convoqué tout un escadron de femmes après, pour s’en sortir…Tout un escadron de femmes là que nous sommes, avec nos textes minables.. en train de nous mesurer à l’homme, pour mieux le chasser et le disqualifier… Méfie-toi de toutes ces femmes réunies. Fuis-les… elles ne t’aideront pas… Le choeur que tu as formé autour de cette lettre, c’est le choeur de la mort.” Moi qui n’aimais guère ses livres …
A défaut d’aller voir sur place, le catalogue reprend beaucoup des interventions. Ah oui, j’oubliais : le commissaire de l’exposition, recruté par petites annonces, est Daniel Buren, et l’amant est Grégoire Bouillier, auteur de L’invité mystère, où il racontait son invitation à un dîner d’anniversaire chez Sophie Calle.

Fouad Elkoury présente 33 photos ‘De la guerre et de l’amour” : pendant l’invasion israélienne de l’été 2006, l’artiste est à Beyrouth, il craint pour sa vie, tente de mettre ses enfants à l’abri. La femme qu’il aime, depuis Alexandrie, lui annonce au téléphone qu’elle le quitte. Il parvient à quitter Beyrouth malgré les bombes et la retrouve à Istanbul. Tous deux tentent de savoir ce qu’ils vont faire, se quitter, rester ensemble, où, comment. Pendant ce temps, la guerre continue, Israël bombarde Cana, les pourparlers de cessez-le feu ne progressent pas. Le 33ème jour, les bombardements cessent enfin, ce même jour elle remet son départ à plus tard. Chaque jour, une photo, un petit texte. Chaque jour, la douleur, l’incertitude, la mélancolie. Comment trouver encore chaque jour l’énergie pour le lendemain ? Comment ne pas désespérer ? Comment en faire une oeuvre à la fois triste et pleine d’espoir, éternel recommencement ? Comment traduire le privé, l’intime en public, en visible ? Cherche femme et pays, tous deux stables, dit-il sur une des photos.

Deux travaux différents certes, mais chacun combine images et textes, sentiments et démarche artistique, émotions et processus de manière pas si lointaine, je trouve. 

Sophie Calle étant représentée par l’ADAGP, les photos de son travail seront ôtées à la fin de la Biennale. Photo du pavillon par l’auteur; photos Sophie Calle (c) ADAGP, prises par l’auteur. Photos Fouad Elkoury (c) Fouad Elkoury provenant de son livre aux Editions Intervalles


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LES COMMENTAIRES (1)

Par bloug
posté le 21 mars à 21:34
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c'est un miracle!! vraiment!!!!!!!!!!

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