Magazine Beaux Arts

Polkographie

Publié le 10 octobre 2008 par Marc Lenot

sigmar-polke-combat-dours-vue-densemble.1223421753.JPGUne des étrangetés de l’exposition Objectivités (au MAMVP jusqu’au 4 Janvier) est que cette exposition de photographies démarre avec deux peintres, Richter et Polke. Richter, passe encore, car on sait à quel point son travail de peintre se nourrit de la photographie. Mais Sigmar Polke ? Peu connaissent ses photos, malgré l’excellente monographie de Xavier Domino (à qui j’emprunte mon titre) et c’est, je crois, la première fois qu’on les voit en France. A voir certaines d’entre elles, on peut se demander si ce sont vraiment là des photographies. Aux antipodes du parfait réalisme minimaliste et objectif des Becher, Polke s’intéresse au médium photo et à toutes les manipulations physico-chimiques qu’on peut lui faire subir, polke-sans-titre-or-du-rhin-1985.1223421805.jpget il s’y intéresse en dilettante, en amateur toujours aux marges de l’erreur, de l’accident. Mauvais photographe comme Tichy, Polke joue avec le flou, le surexposé, les taches de bromure, les défauts en tout genre; il aime rater, quitte à saboter.

Des trois ensembles présentés ici, regardez d’abord la série Rheingold (1985) où des minerais, or ou uranium, impressionnent le film et y créent des formes fluides, aériennes, vagues, rondeurs, ectoplasmes, éclaboussements, qui n’ont plus rien à voir avec une quelconque représentation du réel : réalité invisible, magique, alchimique, sans lien quelconque avec un modèle, un indice.

sigmar-polke-combat-dours-1974.1223421741.jpg
Onze ans plus tôt, Polke a photographié ce Combat d’un ours et de deux chiens en Afghanistan devant une centaine de spectateurs. Ces 14 photos de grand format (vue de douze d’entre elles en haut), pour la plupart des vues de l’ensemble de la scène, ont été pliées lors du tirage (le bac étant trop petit) et cette manipulation fait apparaître toutes sortes de défauts fortuits, de voiles mystérieux posés entre le spectateur et ces scènes barbares; pliures, craquelures, coulures, éclats génèrent un effet fantomatique, quasi kaléidoscopique . Cet éloignement du réel, cette scansion de l’espace créent un nouvel original, une nouvelle réalité.

De là, évidemment, Polke va vers la peinture :

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Intérieur (1984) est une photo là encore démantelée, tachée, voilée, dégradée, déconnectée du réel, mais où la coloration des chaises, intervention manuelle du peintre sur le médium photographique, recrée une aura, une dimension picturale, un autre ancrage dans la représentation. Il y a là un recadrage, une discipline; la folie alchimique est toujours là, mais on va vers le manuel, vers l’humain, vers l’intervention voulue, planifiée, décidée, peinte. Même la déchirure grossière du papier à gauche semble déterminée.

Il me semble audacieux de tenter de présenter cette mise à sac impitoyable du réel sous le label de l’objectivité triomphante. Domino fait dire à Polke “Je développe, donc je doute”. C’est à ce constat anti-normatif qu’arriveront aussi certains des élèves des Becher en rupture de ban.

Photo 1 de l’auteur; photo 4 courtoisie du MAMVP.


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