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La domination **/Karine Tuil

Par Essel
"Son imprévisibilité d'abord, et l'angoisse qu'elle générait chez ses interlocuteurs. Une humeur elliptique. Un moral soumis aux turbulences. Jamais tel qu'il était apparu la dernière fois." (incipit : les trois premières phrases).

Qu'il est difficile de brosser le portrait d'un père juif, chirurgien engagé connu sur la scène internationale, aussi charmeur en société qu'il peut être versatile et immoral chez lui, où il fait cohabiter sa jeune maîtresse russe et son bébé avec son épouse catholique pétainiste et ses deux enfants. Un père-caméléon qui vient juste de se suicider. C'est pourtant la commande que fait à cette jeune femme de vingt-six ans un grand éditeur, un homme âgé à présent, prêt à passer la main, et pourtant empressé auprès de cette jeune auteure qu'il séduit malgré la différence d'âge, grâce à l'aura culturelle et intellectuelle qu'il dégage. Pour ce faire, elle va devenir dans son roman Adam, un fils imaginaire, et se masculiniser à chacune de ses rencontres érotiques avec cet éditeur bien mystérieux...

Le désir n'est-il qu'envie de possession, pire une histoire de domination  ? Une domination politique, sociale, mais surtout sexuelle, intellectuelle,... Une domination exercée de l'éditeur sur son auteur, voire l'inverse, celle surtout de l'auteure sur son lecteur, maître du jeu, qui brouille les pistes, change les noms, emprunte d'autres identités. D'où le titre de ce roman à l'écriture sobre et fluide, ce roman qui intrigue et désarçonne son lecteur : quelle
part autobiographique d'elle-même l'auteur a-t-elle mis dans ce personnage ? Quand s'arrête l'autofiction ? Quand commence la fiction ? Peut-être serez-vous un peu moins troublé en écoutant la "philosophie" de Karine Tuil (à n'écouter que votre lecture achevée !) dans cette entrevue avec Michel Field :

Michel Field / Karine Tuil : La domination
envoyé par hachette-livre

D'où la mise en abime d'un roman autobiographique de la narratrice dans le récit. Malgré tout, un aspect du roman m'a "chiffonnée" : son côté nombrilliste (encore !) m'a agacée, tout comme la résurgence de cette question de l'identité juive, de la filiation, des non-dits, des tabous, mise à toutes les sauces. Tant pis si je ne me fais pas des amis, mais cela m'a laissée de marbre.

Un roman de qualité, oui, d'une auteure qui m'est apparue intéressante et sympathique, mais son sujet ne le prédispose pas à devenir un futur Goncourt des lycéens. Quant au futur Goncourt, on sait depuis peu qu'il ne fait pas partie de la deuxième sélection, laquelle est assez décevante...



« Longtemps, j’ai pensé que le jour où je parviendrais à publier un livre sur mon père, je cesserais définitivement d’écrire. Je contourne cette menace en refusant de me plier à vos injonctions, en invoquant des blocages, le manque d’inspiration, la difficulté, la paresse. Mais vous insistez et voilà où nous en sommes, et voilà où nous en sommes, au milieu de l’après-midi, dans votre bureau avec vue sur cour, à parler de mon père, le héros de ce livre pour lequel vous m’avez fait signer un contrat sans même avoir lu une ligne. Vous voulez le livre que je ne peux pas écrire. Le dernier tabou. Après l’adultère l’inceste, les filiations secrètes, les doubles vies, voici la polygamie. Voici la pornographie, la tyrannie. A la fin du XX e siècle. Chez des petits-bourgeois juifs. » (p. 19).


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