Magazine Culture

A l'impératif féminin

Publié le 16 octobre 2008 par Mgallot

Fenêtre sur abîme de Sumana Sinha (éditions de la différence)

Peut-on survivre à son appétit de vivre ? Madhuban, jeune indienne éprise de liberté, n’en doute pas quand elle quitte Calcutta pour Paris, fuyant le regard inquisiteur de ses parents sur sa vie amoureuse qu’ils réprouvent, au nom de la tradition.

Madhuban, femme passionnée à la présence vive, s’enivre de la vie parisienne et de ses découvertes, rencontre un professeur d’université qu’elle épouse, malgré leur différence d’âge – comment rester à Paris sans papiers ? – s’étourdit dans les bras d’un amant par besoin de mettre des couleurs dans sa vie. Elle finit par se perdre à force de chercher des fenêtres à travers les corps et les mots, chercher le souffle et la lumière qui parviendraient à exprimer son être, cette intensité, « le vibrato intime nommé poésie ».

La poésie, justement, est le matériau travaillé par Sumana Sinha, romancière bengalie qui écrit pour la première fois en français – et on comprend pourquoi ce ne pouvait pas être autrement, pourquoi il fallait s’approprier les mots étrangers. Sa poésie est acérée, parfois brutale. « Le sens est une censure » pour l’imaginaire puissant de Madhuban, et le besoin de dire est si urgent que les mots deviennent des stigmates, ceux par qui le malheur arrive et ceux dont pourtant il serait impossible de se passer. Ceux qui reviennent en boucle, quand le retour est pourtant devenu impossible, mots doux mots tranchants mots cachés mots avoués mots absents mots miroirs.

Pour dire quoi ? La quête de soi à travers le lien, mais aussi la perte de soi dans le lien. Fenêtre sur abîme est une histoire d’arrachement, arrachement au pays, arrachement à l’être aimé, arrachement à soi. Une histoire déchirée, exponentielle, jusqu’à l’implosion. Une violence que l’on n’atteint que lorsqu’on se sent étranger, parfaitement étranger, abandonné à ses seuls désirs.

Sumana Sinha réussit un premier roman bouillonnant, à la narration serrée, délicieux et éprouvant à la fois. Un roman qui tranche avec une production française souvent bien fade. Un roman à l’impératif féminin qui se lit fébrilement et se fiche dans l’esprit comme une épine.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Mgallot 60 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog