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Crossfire : Et tu périras par le feu...

Par Julien Peltier



Si certains auteurs japonais de romans policiers ont marqué leur époque par des œuvres stylées aux enquêtes alambiquées, Miyabe Miyuki, grâce à son style léger et contemporain, nous tient en haleine au fil des chapitres de ce polar fantastique. « Crossfire » raconte l'histoire de deux femmes dans un Tôkyô contemporain. L'une est jeune, solitaire et possède le pouvoir de déclencher de puissants feux. La seconde est femme, épouse et mère, mais surtout commissaire à la brigade des incendies criminels de la ville. Elles finiront par se retrouver après maints rebondissements dans un dénouement aussi dramatique qu'inattendu.

Une histoire de femmes
On peut dire que Crossfire est un roman de femmes, écrit par une femme pour les femmes. La dichotomie entre les deux personnages principaux fait le charme de cette histoire car elle permet au lecteur d'y entrer plus facilement. Le phénomène d'identification est certainement plus aisé si l’on est une lectrice, car on aimerait ressembler à une des deux héroïnes, voire aux deux.
L'une est jeune, tient les hommes à distance et fait justice elle-même grâce à la pyrokinésie. Aoki Junko, dotée d'un pouvoir hors norme, s'est donnée la mission de punir ceux que la justice a laissés en liberté, pour quelque raison que ce soit. L'autre est dans la fleur de l'âge, sait se faire respecter et est au service de la loi. Ishizu Chikako va se retrouver, un peu par hasard, à enquêter sur les morts que Aoki Junko laisse derrière elle. Cette opposition apparaît très bien aussi au fil des pages, car l'auteur nous propose une alternance des points de vue avec douceur sans que jamais ces deux personnages ne se croisent, sinon dans l'ultime chapitre qui clôt cette intrigue haletante.
Il est même étonnant d'avoir des personnages féminins aussi forts, alors que ce genre littéraire est éminemment masculin, à quelques exceptions près. Car les hommes ne sont que des faire-valoir des héroïnes et ne sont jamais mis en valeur. Ils apparaissent, avec leurs petits travers, leurs drames ou leurs violences. Même si de prime abord, les personnages masculins peuvent sembler solides, ils révèlent toujours une sorte de face cachée.
Grâce à ces deux personnages et à la multitude d'autres qu'ils rencontrent, c'est aussi une peinture de la société nippone qui est faite au fil des chapitres. Le manque de repères conduit des jeunes à torturer et tuer de malheureuses victimes. Les parents démissionnaires face à leurs enfants ne cherchent pas à reprendre leur place. Des jeunes actifs, juste attirés par l'argent facile, se complaisent à vider le compte en banque de leurs pigeons. La mégapole est décrite dans sa diversité et sa complexité la plus dense. Au sein d’une société dominée par l'homme, ce sont pourtant les femmes qui détiennent le pouvoir.
Entre fantastique et policier
Chaque genre, fantastique et policier, est représenté par une des deux héroïnes. Cette rencontre des genres ajoute au charme de ce roman. Plutôt que de ménager son lecteur, Miyabe Miyuki le place directement en contact avec le fantastique, par la rencontre avec Junko. C'est dans un style épuré que l'auteur introduit son personnage au pouvoir surréaliste. Au bout de quelques paragraphes seulement, on retrouve une narration plus traditionnelle, comme s'il fallait obliger le lecteur à entrer de force dans le paranormal. C'est aussi un hommage appuyé au maître du genre, Stephen King, qui est rendu par la romancière : outre l'utilisation du titre d'un de ses romans comme surnom pour son personnage principal, « Firestarter »* les éléments de biographie de Junko ne sont pas sans rappeler l'histoire originale de King. Même si cela pourrait choquer les puristes, Miyabe s'approprie ces éléments avec brio.
La face policière de Crossfire est incarnée par Chikako. Elle est conventionnelle dans sa méthodologie, et très structurée. Si elle comprend rapidement que la nature des feux auxquels elle est confrontée est atypique, elle refuse d'adhérer aux théories paranormales développées par son collègue, tant qu'elle n'a pas elle-même été témoin d'un incendie dû à la pyrokinésie (la faculté de déclencher des feux par la pensée). Sa progression dans l'enquête se fait parce qu'elle est entêtée, car la nature criminelle des affaires ne la place pas en première ligne. Son instinct, ses méthodes et surtout sa capacité à s'ouvrir aux autres lui permettront de dénouer les fils de ces mystérieux incendies. Si la taille de ce roman peut décourager de prime abord, il fait passer un très bon moment par un habile mélange des genres et une écriture très fluide.
LHD
* Ce livre est paru en France sous le titre de « Charlie ».

Article : Crossfire


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