A quoi cela sert-il ? Cette question revient souvent, à l’école ou dans les conversations, à propos de savoirs dont l’utilité ne saute pas aux yeux : théorèmes abstrus de géométrie et d’algèbre, points d’histoire ou d’anatomie, vieilles doctrines philosophiques, et autres connaissances qui semblent inutilement compliqués aux yeux du profane.
Cette question ne devrait inquiéter ni ceux qui se consacrent par vocation à la recherche, ni ceux qui s’y initient, même si souvent ils ne sont pas en mesure de dire à quoi leur savoir pourra servir. Car du moment qu’une connaissance exacte et vraie a été conquise sur l’erreur et l’ignorance, il y a lieu de penser qu’elle sera utile, serait-ce à la postérité.
C’est ainsi que les démonstrations des anciens géomètres grecs ne reçurent leur usage qu’à l’époque moderne. Les difficiles propriétés des ellipses, paraboles et autres sections de cônes, recherchées à seule fin de tirer toutes les conséquences des premières propositions, sans souci d’un éventuel profit, servirent enfin, bien des siècles après, à décrire les trajectoires des planètes autour du Soleil.
Il y a lieu de croire que tout ce qui est méthodiquement ou judicieusement acquis comporte un usage possible. Ce qui est exact ne peut manquer de s’appliquer dans le monde tel qu’il est, alors que le faux a de fortes chances de se révéler stérile ou néfaste. Le vrai, qui est conforme à la réalité ou ne la contredit pas, pourra toujours servir dans la réalité. L’inutilité d’un savoir n’est donc jamais absolue.
Une expression juste glanée dans un poème, une distinction conceptuelle éclairante, un fait établi de façon circonstanciée, une propriété nécessaire d’une figure ou d’un nombre premier : il n’est pas de savoir, sans compter le plaisir même de l’acquérir, qui ne puisse un jour nous servir.
Dire que le savoir est inutile est un jugement à courte vue.