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Barack Obama ou l'émergence d'une nouvelle idole

Publié le 20 octobre 2008 par Exprimeo
A 16 jours du scrutin, il importe de bien avoir à l'esprit combien la victoire de Barack Obama au sein même du Parti Démocrate a traduit la volonté de tourner la page des "anciennes idoles" qui étaient sur la ligne de départ pour l'investiture. Même avec une candidature délicate pour Hillary Clinton, le chemin de la victoire au sein du Parti Démocrate n'était pas pour autant ouvert pour Barack Obama. Il fallait compter avec de nombreux autres concurrents redoutables. Au premier rang de ces concurrents figurait John Edwards. John Reid Edwards est né le 10 juin 1953. En 2004, il fut candidat aux primaires américaines au sein du Parti Démocrate. Il s'installe progressivement comme le principal concurrent de John Kerry avant de se retirer puis d'annoncer son ralliement à John Kerry. A ses côtés, il a effectué un parcours de candidat à la Vice-Présidence dans des conditions particulièrement performantes. Auparavant, il s'était fait remarquer dans trois circonstances particulières. Tout d'abord, sur le plan professionnel, il a fait fortune comme avocat en engageant des procès retentissants contre des grandes sociétés accusées d'avoir lésé des consommateurs en particulier face à des cigaretiers. Ensuite, lors de la procédure d'impeachment contre le Président Clinton, il fut l'un des avocats les plus exposés dans la défense du Président ; ce qui lui assura une reconnaissance rapide au sein du Parti Démocrate. Enfin, il devint Sénateur de la Caroline du Nord à l'issue d'une campagne au ton novateur se voulant en permanence le "champion des gens ordinaires". Issu d'un milieu modeste, John Edwards a gardé un ton populiste. Son physique télégénique lui a assuré une rapide notoriété. Très tôt, il a mené une pré-campagne méthodique pour la présidentielle de 2008. Cette pré-campagne se déroule à partir de méthodes simples alliant terrain et institutions universitaires. Une présence dans l'ensemble des USA qui intervient près de 20 jours par mois à partir du premier semestre 2006. Sur le terrain, John Edwards multiplie les rencontres à thèmes : visites d'usines, hôpitaux… Toutes ces visites sur le terrain ont un point commun : aller au contact et à la rencontre des plus défavorisés. Au niveau des institutions universitaires, il développe les thèmes novateurs qu'il souhaite porter dont : • le caractère immoral d'acceptation d'un certain seuil de pauvreté, • les arbitrages nouveaux à opérer. Il dénonce les aide accordées aux grands groupes pétroliers démesurées par rapport aux aides accordées par exemple aux organismes chargés de promouvoir la couverture santé des enfants, • la mise en place d'un "salaire minimum", • la stigmatisation de la coupure croissante entre la "riche Amérique" et celles des "pauvres", • les abus des grands groupes industriels, …. Sur ces terrains, il choisit des géographies qui correspondent aux premières localités des primaires 2007-08. Il sait désormais combien les résultats des premiers votes créent une dynamique ou pas. Ces premiers votes assureront l'émergence des candidats "sérieux" appelés à concourir pour l'investiture finale. Surtout, par le contact personnel et direct créé entre lui et l'électorat de base, John Edwards vise à amoindrir la fonction d‘intermédiaire reconnue au Parti Démocrate. Il entend créer sa propre structure de quadrillage du terrain. Tout paraît donc en marche. Il bénéficie d'une compassion pour l'état de santé de son épouse qui tente de se remettre d'un cancer. Une épreuve familiale supplémentaire pour ce père qui perdit tragiquement un jeune fils au milieu des années 90. Ce schéma était trop idéal pour fonctionner. John Edwards s'est rapidement installé dans la fonction du "troisième candidat". Comment expliquer ce fait alors même qu'il rassemblait toutes les qualités pour être premier ? Il y a deux raisons majeures. D'une part, il a peiné à faire rebondir sa campagne. Pratiquement, une primaire doit créer des évènements pour entrer dans le champ de couverture des médias. John Edwards n'arrive pas à faire naître ou à gérer l'inconnu. Tout est maîtrisé, trop maîtrisé et devient donc lisse. Sa campagne a été sérieuse mais elle a manqué de temps forts pour s'installer au centre du tourbillon médiatique. D'autre part, John Edwards est trop modéré. Il ne se place jamais au départ ou en cours d'une forte polémique. Pour ces raisons, il a progressivement acquis une image de second. Un second certes sérieux et fiable mais un second. Et il n'arrive pas à détacher cette image de second. Lors de la primaire 2008, être second c'était être relégué à la … troisième place face au duel des premiers Obama / Clinton. L'usure a donc fait son oeuvre. Les financiers l'ont quitté. John Edwards s'est progressivement marginalisé, s'éloignant de toute perspective de victoire et disparaissant lentement mais sûrement de la donne. Une autre idole était Al Gore. Présenter le parcours d'Al Gore, c'est remettre en question des idées très souvent répandues dans la politique américaine. Après une présidentielle perdue, toute candidature à une nouvelle présidentielle serait très difficile voire impossible. Un Vice-Président, candidat battu à la présidentielle, serait voué à une retraite dorée inactive se résumant à des actions honorifiques symboliques. Al Gore a fait exploser ces "idées reçues". Il importe d'abord de rappeler combien il serait parfois impressionnant d'imaginer l'impact d'un scrutin présidentiel 2000 portant à la Présidence des Etats-Unis Al Gore et non pas GW Bush. Or, le 7 novembre 2000 Al Gore a obtenu 550 000 voix de plus que son adversaire sur l'ensemble du territoire américain. Mais seul le système des grands électeurs et la victoire de GW Bush en Floride le privent de la victoire "officielle". En Floride, officiellement, GW Bush a gagné avec 537 bulletins d'avance sur un total de 6 millions. Les recomptes financés par des journaux indépendants vont fréquemment remettre en question ce "résultat officiel". Sur le second point, il suffit de se référer aux sondages pour prendre conscience du soutien populaire dont bénéficie Al Gore qui constituait une vraie "rampe de lancement" pour les présidentielles de 2008. Enfin, sur la "retraite dorée mais quasi-oisive", l'agenda d'Al Gore, pour la simple promotion de son film documentaire "unconvenient truth", faisait pâlir bon nombre d'actuels responsables d'exécutifs tant sa tournée internationale est chargée en déplacements et en conférences. La personnalité d'Al Gore allait en décider autrement. C'est une personnalité complexe que résument bien trois anecdotes. En 1965, dans l'almanach de fin d'année d'une école privée St Albans de Washington figure une photo de 51 élèves de classes terminales. Sous le portrait de l'un d'entre eux est inscrite une phrase d'Anatole France "les gens sans défaut sont terrifiants". Ce portrait est celui d'Al Gore qui a choisi une formule d'un auteur français. En 1969, son père est Sénateur du Tennessee. Al Gore vit pour partie à Carthage, petite ville à l'est de Nashville dans le Tennessee. Le 7 août 1969, par amour pour son père afin de ne pas le mettre en difficulté dans cette période très controversée, Al Gore se porte volontaire pour le Vietnam tout en sachant pourtant combien cette guerre suscitait son hostilité. En 1989, son fils Albert, alors âgé de 6 ans, est victime d'un très grave accident automobile. Al Gore se retire de la politique et il faudra attendre le 9 juillet 1992 pour le voir ré-apparaître sur le ticket démocrate avec Bill Clinton alors même que depuis 1988 tout le prédisposait à la première place des candidats démocrates. La popularité d'Al Gore s'explique par le retour à de "nouvelles valeurs" que l'opinion publique américaine entend promouvoir dont celles d'un Amérique plus respectueuse de ses partenaires internationaux comme des questions d'environnement. Dans ce contexte, Al Gore a le profil de cette réconciliation. Mais, Prix Nobel de la Paix, il semble ne plus vouloir s'impliquer dans un processus électif. Une autre idole venait de libérer la place. La publication récente des mémos du conseiller en stratégie d'Hillary Clinton, Mark Penn, montrent que l'ex-First Lady craignait d'abord la candidature d'Al Gore. Le troisième nom souvent évoqué parmi les Démocrates était celui de Wesley Clark. Déjà, lors de la présidentielle de 2004, Bill Clinton était persuadé de détenir en Wesley Clark le profil idéal pour battre GW Bush et l'empêcher d'aller vers son second mandat présidentiel. A cette époque, le pays était tout entier tendu vers sa croisade anti-terrorisme. Le candidat démocrate ne pouvait subir un déficit d'exemple en matière de sécurité nationale. Par son cursus personnel, Wesley Clark semblait rassembler toutes les qualités nécessaires. Né le 23 décembre 1944, il est général 4 étoiles à la retraite ayant exercé la responsabilité de Commandant en Chef des forces de l'OTAN de 1997 à 2001 et dirigé les opérations lors du conflit du Kosovo. Avant cette responsabilité éminente, toute sa carrière était parsemée de faits d'armes significatifs et de multiples décorations. Bien davantage, à de multiples occasions, il avait exprimé son soutien en faveur de candidats Républicains dont Reagan et même GW Bush lors de sa campagne de 2 000. En conséquence, au printemps 2003, une stratégie assez complexe fut construite par des ex-collaborateurs de Clinton. Pour l'essentiel, elle consistait à faire grimper la notoriété de Wesley Clark à l'aide d'interventions télévisées de plus en plus fréquentes sur les dossiers militaires d'actualité et la création de groupes locaux "spontanés" appelant à la candidature de W. Clark. Ce schéma négligeait deux facteurs. D'une part, l'impact irremplaçable de la présence sur le terrain qui est un point de passage obligé lors d'une primaire. Pendant que Wesley Clark tardait à rejoindre le terrain pour donner le sentiment qu'il répondait presque forcé à un "appel de la base", d'autres candidats quadrillaient chaque Etat avec efficacité. Si bien que les premières primaires ont donné de très mauvais résultats pour W. Clark à la candidature parfois même encore non officiellement déclarée. D'autre part, commander des troupes militaires c'est une chose mais aller à la rencontre d'électeurs, c'est une autre chose. Lorsqu'il a du accélérer son implication personnelle sur le terrain, Wesley Clark est alors apparu peu charismatique, distant, confus dans ses messages trop nuancés ; bref, piètre candidat. Il se retira vite de la course par une déclaration du 11 février 2004 et se rangea derrière John Kerry sans avoir de rôle marquant pendant les derniers mois de la campagne présidentielle. Ce "passé électoral" collait encore à la peau de Wesley Clark lors des premières primaires pour 2008. Serait-il capable d'être un candidat crédible sur le terrain en dehors des constructions intellectuelles de Washington ? Depuis les attentats du 11 septembre, les Américains ont fait de la sécurité nationale une réelle priorité. Ils prennent désormais leurs distances avec ce qui est perçu comme des excès dans la politique républicaine et tout particulièrement celle de GW Bush. Mais ces distances ne doivent pas conduire à conclure que la sécurité nationale ne serait plus une vraie priorité. C'est sur la base de ce constat que le Parti Démocrate cherche toujours le "bon profil". Par leur absence de responsabilités internationales, les candidats issus d'une expérience de Gouverneur ont un déficit important en ce domaine. Ils ont donc du mal à inspirer confiance. Seul Wesley Clark dispose d'une crédibilité forte en la matière. Cet enjeu (trouver un profil de proximité sur les questions intérieures et rassurant sur la sécurité nationale) a longtemps été présenté comme "le défi" des Démocrates. Mais une nouvelle fois, Wesley Clark n'est jamais allé sur le terrain pour exprimer une véritable offre politique. Il restera donc un parcours pour un état major militaire. S'il fallait sécuriser sur le plan international, il serait donc possible de faire appel à un Sénateur reconnu pour ses compétences en la matière. Et ce fut au tour de Joe Biden de s'engager dans la primaire. Joseph Biden Jr est né le 20 novembre 1942. Il est Sénateur du Delaware depuis novembre 1972. Cet éminent membre du Parti Démocrate est l'un des Sénateurs les plus influents et respectés du Sénat Américain. Il est père de 3 enfants dont l'un a servi pendant la dernière guerre en Irak. Ses domaines de prédilection sont la politique étrangère et la politique criminelle. En 2004, il a été à l'origine d'une loi augmentant très significativement les fonds alloués à la politique contre le crime. C'est aussi un des spécialistes de la lutte contre la drogue. Joe Biden avait connu déjà deux tentatives à des primaires pour une présidentielle. La première fut en 1988. Son parcours fut délicat et une hospitalisation en février 1988 mit fin à sa campagne. Pour la présidentielle de 2004, il a été sollicité par le Parti Démocrate. Il a alors publiquement et longuement milité pour un ticket Kerry-McCain, ce qui était très original puisque réalisant une sorte d'union nationale. Il n'a pas été entendu et a pris du retrait tout en apparaissant comme le probable Secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères dans une éventuelle Présidence Kerry. Le profil de Joe Biden était intéressant car il constituait un équilibre atypique entre les autres profils des candidats Démocrates. En effet, Joe Biden ne pouvait pas encourir de reproches ou de craintes quant à sa connaissance approfondie des questions internationales. De plus, depuis 2004, il était l'un des plus fervents opposants à la gestion du dossier irakien par la Présidence Bush. En revanche, il peut apparaître trop "washingtonien" pour la base démocrate. Joe Biden incarne en effet "l'honorabilité sénatoriale" avec le sens de la mesure et des compromis développé par ce "club". Or la base démocrate aspire à un profil plus tranché, en "rupture". Exit donc Joe Biden. Il fut alors question de John Kerry, pourtant déjà candidat en 2004. Dans le Fleet Center de Boston en cette fin juillet 2004, il est 22 heures. La chanson de Bruce Springsteen "Surrender" éclate. Au même moment apparaît sur la scène John Kerry, costume sombre, cravate rouge. Il parcourt le tapis rouge. Il donne une longue accolade à un vétéran ami. Il salue ses compagnons d'arme qui font une garde d'honneur. Il s'approche du micro et débute "Je suis John Kerry. Prêt à servir !...". Ce soir de juillet, John Kerry s'envole dans les sondages. Il incarne l'ancien combattant devenu pacifiste, l'Amérique réconciliée avec l'Europe, le responsable de coeur au tempérament solide. Mais dans les mois qui suivent, la machine de guerre républicaine va faire son "oeuvre". Rien ne lui sera épargné. Il y aura même un épisode officiellement reconnu comme un honteux truquage le présentant aux côtés de Jane Fonda dans une manifestation qu'il n'avait jamais fréquentée ou allant même jusqu'à collecter de misérables témoignages mettant en doute ses blessures au combat. John Kerry a conscience que son rendez-vous avec les citoyens Américains a été excessivement pollué par des campagnes négatives sans limite. Mais aujourd'hui, il n'est plus le seul à en avoir conscience. Il peut compter à ses côtés sur des bataillons de plus en plus nombreux de citoyens qui, depuis les conditions de défaite d'Al Gore, s'interrogent de plus en plus ouvertement sur le fonctionnement de leur démocratie. C'est ce climat de compassion et de réhabilitation qui pouvait pousser John Kerry à retenter sa chance bien loin de la coutume qui veut qu'un candidat à la présidentielle ne le soit qu'une fois pour toutes. John Kerry et Al Gore sont désormais les personnalités emblématiques de combats qui dépassent de loin leurs seules candidatures personnelles ou même démocrates. Son entourage a même été persuadé qu'une candidature Kerry rencontrerait l'attente de l'opinion qui veut la restauration du prestige de la fonction présidentielle de la démocratie la plus puissante au monde. La Nation Américaine éprouverait le besoin de se "racheter" face à des candidats dont le combat perdu serait devenu le symbole de maux qu'elle veut désormais chasser. Ce climat offrirait un nouvel espace au Sénateur de Boston. Ce 29 juillet 2004, à 23 heures, John Kerry avait achevé son discours par des mots simples : "et si nous avions une conduite aussi bonne que le mérite le rêve américain de sorte que la bigoterie et la haine ne volent jamais plus l'espoir et l'avenir de chaque Américain ?". Cette phrase résumerait à elle seule tout l'enjeu de l'échéance de 2008. Kerry tente de remobiliser ses réseaux et ses financiers; mais en vain. Il ne fera même pas acte de candidature pour la primaire 2008. Les unes après les autres, les idoles démocrates étaient ainsi tombées, les unes au front démocratique directement, les autres sans même tenter leur chance auprès des militants. L'électorat démocrate voulait un réel changement avec du neuf.

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