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Rétrospective : "Elephant" de Gus Van Sant

Par Alban Ravassard

Bonjour à tous !

J’inaugure sur ce blog une nouvelle rubrique nommée « Rétrospective » qui sera l’occasion pour moi de revenir sur des chefs-d’œuvre du cinéma et ainsi vous les faire découvrir ou redécouvrir. Aujourd’hui, retour sur la Palme d’or 2003 : « Elephant » de Gus Van Sant.

 

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20 avril 1999. L’Amérique est sous le choc. Deux lycéens ont opéré un massacre à Columbine, tuant une quinzaine de leurs camarades. Les explications pleuvent pour tenter de justifier l’inexplicable. L’évènement « Columbine » marquera les consciences de manière collective et de façon internationale. En 2002, le trublion Michael Moore s’y attaque dans « Bowling for Columbine ». Prenant pour base l’évènement, il s’appuie dessus afin de mener une enquête plus globale sur la violence provoquée par les armes à feu aux Etats-Unis, cherchant ainsi à se baser sur des évènements concrets pour une nouvelle fois expliquer ce qui restera inexplicable, de trop nombreuses hypothèses étant avancées.

2003. Gus Van Sant s’appuie sur le « massacre de Columbine » et sur un téléfilm d’Alan Clarke « Elephant » pour constituer la base de son nouveau film intitulé lui aussi « Elephant » en hommage à l’opus d’Alan Clarke (un inédit, présent sur le DVD collector d’ « Elephant » version 2003 dispo aux éditions MK2 et qui vaut le détour). Suite à sa sélection en compétition officielle au festival de Cannes, « Elephant » y remporte la Palme d’or et le prix de la mise en scène tout en faisant l’unanimité. Gus Van Sant vient de signer un chef d’œuvre qui en a bouleversé plus d’un, à juste titre. Je vous propose donc de revenir un peu plus en profondeur sur ce film et d’analyser quelques unes de ses caractéristiques.

 

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Le film s’ouvre sur un long plan-séquence nous présentant un ciel qui s’obscurcit, un orage qui monte, métaphore de la tragédie à venir. Mais au contraire de Michael Moore qui s’attachait, par le biais du documentaire, à des choses concrètes en tentant de définir les causes de cet évènement tragique, Gus Van Sant choisit une certaine abstraction et se tourne du côté de l’art pour y puiser une vision subjective et originale. Ainsi, le parallèle avec le massacre de Columbine bien que reconnu par le cinéaste n’est pas si clair car le nom du lycée et de la ville où se déroule l’action du long-métrage ne sont jamais cités.

Gus Van Sant effectue un travail purement cinématographique en se réappropriant l’évènement par l’art, presque en le digérant, pour un rendu bien loin de toute logique inutile. Il ne s’agit pas ici d’intellectualiser en vain mais bel et bien de ressentir. Dans cette optique, le réalisateur effectue un travail remarquable sur les deux composants essentiels qui se trouvent à la base du rendu de toute image cinématographique : l’espace et le temps. Leur gestion est ici remarquable. D’un côté l’espace : Gus Van Sant laisse ses personnages évoluer dans de longs couloirs (qui peuvent évoquer le couloir de la mort et donc l’issue tragique et inéluctable de l’évènement), qui forment presque un gigantesque réseau labyrinthique dans lequel les personnages se perdent et ce de différentes manières possibles (je pense à la perte de soi, la perte de repères, de la perte dans un lieu…).

 

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Ce traitement spécifique et relativement neutre (en apparence uniquement) trouve son écho dans la mise en scène de Gus Van Sant qui suit ces adolescents en accomplissant de longs travellings au steadycam le plus souvent juste derrière eux, plaçant ainsi le spectateur dans une position d’observateur qui n’est pas sans évoquer celle d’un ange gardien protecteur qui serait condamner à regarder le personnage marcher vers sa mort tout en étant en position de totale impuissance. Ceci crée bien sûr une grande empathie envers les personnages et ne fait que renforcer l’impact émotionnel qu’à la représentation âpre et violente de la tragédie qui s’en suit. 

De l’autre côté, Gus Van Sant opère un travail sur le temps. Il multiplie les points de vue, faisant se croiser les chemins des divers protagonistes se permettant des allers et retours temporels qui loin de nous perdre, enrichissent considérablement le récit. Le temps de la diégèse s’en trouve dilaté du fait de cette répétition, qui n’en est pas tout à fait une. Notre impression de lent cheminement vers la mort n’en est que plus renforcée, on se rend compte à ce moment que la situation nous mènera à une issue fatale et inéluctable. L'utilisation périodique du ralenti sert également à fixer l'intensité du moment vécu par les personnages.

 

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L’effet n’en est que plus puissant du fait de son association à de lents mouvements de caméra très fluides et à de longs plans-séquence qui accentuent l’impression de réalité (si vous ne voyez pas pourquoi, les réponses sont présentes dans l’article « Montage interdit » d’André Bazin) et donnent une sensation d’hypnose, de temps qui se suspend avant que son cours ne soit rattrapé par les évènements qui suivent.

Gus Van Sant n’oublie pas pour autant de retracer le parcours des tueurs mais sans cependant les juger ou être fasciné par eux ce que la violence et la manière âpre de filmer le massacre confirme. Par ailleurs, il ne justifie pas leur acte mais ne se refuse pas à disséminer des pistes d’explications possibles qui, à force de se multiplier, ôtent justement toute possibilité de justification. De toute manière ce n’est pas ce qui intéresse le cinéaste, comme si pour lui le mystère d’un tel acte ne pouvait, par essence, être élucidé.

 

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Les personnages perdent progressivement leur innocence jusqu’au moment de la fusillade, c’est ce qui la rend aussi choquante. C’est cette mort imminente, prête à frapper et cette issue fatale, dont on a conscience dès le début du film et qui pourtant nous surprend, qui donnent à ce long-métrage une dimension « perturbante » (avec toutes les réserves que cela implique). Au final, « Elephant » se démarque de sa source d’inspiration, l’ «Elephant » d’Alan Clarke qui nous présente une succession de meurtres inexpliqués suivis de long plans sur les cadavres. Un déchaînement de violence implacable et froid loin de l’empathie que provoque le film de Gus Van Sant. Ce qui en fait un chef d’œuvre.


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