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Un peu de littérature fantastique pour changer

Publié le 20 octobre 2008 par Fric Frac Club
Près d'un an qu'on avait plus de nouvelles de la "Bibliothèque de Babel", la collection de Borges en cours de réédition chez Panama : on craignait fort que l'aventure s'arrête là, au bout de seulement une demi-douzaine de volumes, sur les trente que compte cette bibliothèque personnelle mythique, aux textes soigneusement sélectionnés par Borges en personne. Heureusement, une fois que la marée de la rentrée littéraire a commencé à se retirer, on a pu constater avec joie que deux nouveaux volumes (hélas à l'allure irrésistible, pour le plus grand malheur du portefeuille) venaient de faire leur apparition chez les libraires, l'un de G. K. Chesterton, et l'autre de Jack London.
"Les Morts concentriques" de Jack London est une énorme surprise, qui à la fois met une sacrée claque au lecteur et remet pour ainsi dire les pendules à l'heure. Les éditions Phébus ont eu beau rééditer, avec un courage qui force l'admiration, les écrits les plus confidentiels (et certainement les plus intéressants) de London, celui-ci souffre encore trop dans notre pays d'une étiquette d'écrivain pour enfants avec son inévitable chien courageux dont le museau survivant à la neige a encore tout pour attendrir les gamins - ce qui nous fait songer aux nouvelles traductions de Mark Twain par Bernard Hoepffner qui s'affrontent au même problème.
"Les Morts concentriques" n'ont pourtant rien d'histoires innocentes brossées dans le grand nord exotique. Les cinq nouvelles choisies par Borges se distinguent par leur acidité, leur cruauté, leur tragédie, et surtout leur implacable machinerie du destin, exprimée dans une langue acérée, et donc indémodable, qui n'a pas à rougir face aux mastodontes pomos dont il est souvent question par ici. C'est un défi de parler de ces nouvelles sans en dévoyer la surprise, le rythme inhérent à chacune, la subtile économie de moyens : Borges, lui, dans ses courtes préfaces, réussit toujours à résumer chaque conte en une phrase qui ne produit qu'un seul effet sur le lecteur, celui de se ruer sur la suite du volume.
Qu'il soit dit quand même, histoire de vous appâter, que dans la première nouvelle, "Les Morts concentriques", la lettre d'un suicidé révèle l'existence d'une société anarchiste mondiale aux pouvoirs étendus et aussi meurtriers que terrifiants ; que dans "L'Ombre et la chair", London réussit ce tour de force de renouveller totalement le thème de l'invisibilité tout en venant pourtant après H.G.Wells, dans le combat effréné de deux döppelgangers aux techniques différentes ; que dans "La Loi de la vie", le rapport des Indiens d'Alaska à la mort est conté avec un minimalisme extraordinairement émouvant, trés loin des clichés ou du pathos ; et que dans "La Face perdue", dont le titre énigmatique ne se comprend qu'au dernier paragraphe, un éternel réprouvé, aussi cruel que malin, échappe à la torture qui lui est promise par les Indiens par la grâce d'un stratagème aussi efficace que sanglant.
La dernière nouvelle, "La Maison de Mapouhi", est, je pèse mes mots, un chef-d'oeuvre du genre : London y réussit l'exploit, en une petite trentaine de pages, à faire bifurquer trois fois sa narration, d'une peinture de la cupidité humaine à celle du courage le plus absolu, en passant par le récit absolument terrifiant et stupéfiant d'un cyclone ravageant une île du Pacifique, un sommet dans l'horreur qui m'a fait penser à telle peinture de Turner. Tout ceci pour, comme le souligne Borges, ne révéler l'identité du véritable héros de la nouvelle qu'à la fin.
Vous l'aurez compris, relire London d'un autre point de vue est essentiel. Dans la même collection, on ne saurait trop aussi vous recommander "Le Miroir qui fuit" de Giovanni Papini, dont vous connaissiez peut-être déjà "Gog", réédité il y a quelques années grâce aux merveilleux fous littéraires du Nouvel Attila. Borges a sans doute une grande dette envers Papini, mais celui-ci est bien plus sarcastique et cruel, terrible et glaçant, et d'une portée bien plus différente, que l'aveugle argentin. Dans "Le Miroir qui fuit", les dix nouvelles reviennent sans cesse sur les thèmes du suicide et du double, dans une atmosphère à l'étrangeté toujours palpable, qui stupéfie et hypnotise, dans une langue trés simple, somme toute classique, mais qui comme chez Borges reste trés consciente de ses effets et guide son lecteur tout doucement jusqu'à sa conclusion horrifique. Oui, il faut vraiment lire et relire Papini, comme si on découvrait un formidable auteur italien contemporain que la postmodernité accueillerait sans réserves - et peu importe si celui-là est en fait mort depuis cinquante ans. La cruauté de "Histoire totalement absurde", où le vertige métaphysique se mêle à l'assassinat le plus gratuit, ou encore la mélancolie amère et meurtrière qui infuse "Deux images dans une conque" (où le problème du double est expédié et réglé avec une vitesse magistrale qui fait froid dans le dos), devraient suffire de vous convaincre. Y'a pas que les marges dans la vie littéraire : essayez donc un peu les marges des marges !
Six autres volumes sont disponibles dans la "Bibliothèque de Babel" : Les Amis des Amis de Henry James, L'Ami de la mort de Pedro Antonio de Alarcon, L'Oeil d'Apollon de G.K. Chesterton, La Pyramide de feu d'Arthur Machen, Le Cardinal Napellus de Gustav Meyrink et Le Convive des dernières fêtes de Villiers de l'Isle-Adam.
Nota - dans les derniers volumes parus, on regrette, au regard du rapport qualité/prix supposé, la prolifération des coquilles, en particulier dans le volume Chesterton : six ou sept coquilles sur deux pages consécutives, c'est beaucoup trop. L'embauche d'un correcteur supplémentaire chez Panama ne serait pas un luxe. La qualité des traductions, un brin raides, pourrait aussi être améliorée.



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LES COMMENTAIRES (1)

Par blabla
posté le 04 septembre à 17:52
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Coucou, je vois que tu aimes la littérature fantastique, alors je t'invite à découvrir un nouveau roman super. C'est son tour premier, mais c'est loin d'être son dernier.

le roman s'appelle "les enfants du mal" du genre fantastique thriller, du genre démon et tueur de démon.

Il est écrit pas Eroïne Devalda au Edition Baudelaire

Elle a son propre site web aussi si tu veux découvrir d'autre de ses écrits. Si tu aimes vraiment le fantastique lit son roman; si tu veux des info dessus va sur son site officiel : romances.kazeo.com

En espérant que tu vas autant l'aimer que moi.

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