Magazine Culture

ALAIN SCHNEIDER - La Rue est à tout le Monde

Publié le 21 octobre 2008 par Slarue

Vincent Roca rencontre… ALAIN SCHNEIDER - La Rue est à tout le Monde

J'ai rencontré Alain Schneider à Paris, dans un petit restaurant près de Gambetta. Un restaurant qui donne sur la rue. Celle qui est à tout le monde. Il est arrivé avec un bon quart d’heure de retard. Tout gêné, mais tout sourire. Moi, bêtement, je me disais, c’est un chanteur pour enfants… comme on dirait un fauteuil pour handicapés. Parce qu’on aime bien coller des étiquettes, légiférer à coups de codes barres, et balancer les gens au fond de son caddy, sans enlever le papier cellophane, ça évite d’aller voir à l’intérieur.
Alain Schneider est un auteur de chansons. Et un musicien. Point barre.
Il était en plein mixage de son nouvel album. Et il m’amenait une maquette, sans cellophane, sortie du four, toute chaude, pas encore complètement cuite, mais déjà croustillante ! Il avait l’air de s’y brûler les doigts. On sentait bien que c’était son enfant. Le plus bel enfant du monde, le petit dernier, mais bon, on n’allait pas l’écouter tout de suite, il ne voulait pas déranger…
On a mangé en parlant. Enfin, lui, surtout, a parlé. Il s’est raconté. La musique. Le boulot. Les studios d’enregistrement. Les Vosges. Allons bon ! Les Vosges… Le voilà qui s’excuse encore !
Marinette Maignan, une amie commune, qui le met en scène dans ses spectacles, m’avait téléphoné quelques temps avant, en me disant qu’Alain (que j’avais croisé à France-Inter où il était venu chanter une chanson en direct dans Le Fou du Roi), aimerait bien que j’écrive quelques mots sur son quatrième album. Mais il n’osait pas me le demander directement… Moi j’aime les choses qui se glissent comme ça dans la vie, l’air de rien. Parce qu’untel a dit que, parce que machin connaît trucmuche qui pourra donner un petit coup de fil à machin-chose…
Après, on est sorti dans la rue, toujours la même, celle qui… et on est allé chez moi. Et là, pas de chance pour lui, il y avait un de ces petits appareils magiques qui transforment les CD en salle de concert. Il n’a pas pu y échapper. Il était seul sur scène, j’étais seul dans la salle. Il avait le trac, et moi aussi. Dans quel bateau m’embarquais-je ? Dans quel traquenard était-il tombé ?
Et, doucement, la rue est entrée chez moi.
Sa rue. Celle qui n’appartient qu’à lui. Une rue bien barrée, ça oui ! Mais pas sans issue. Une rue piétonne qui détonne et puis étonne, une artère avec du cœur, et des caillots de sens, des mélodies contagieuses et des arrangements d’orfèvre, une rue où les voyelles battent le pavé, « ni leçon ni larme », où l’on respire après les virgules, une rue où l’on se balade, sans but précis, pour les odeurs de marrons, une rue avec ses petits cafards dans le caniveau, cafards à la rue, à côté de la plaque, petits princes déchus qu’on apprivoise, une rue où l’on emmène sa fille, pas pour faire le fier, non, juste pour lui caresser la main, c’est quand même plus facile que d’apprendre le sanskrit !, une rue chaussée d’antan, avec son ferrailleur de grand-père, ses réverbères et ses hommes des cavernes, ça cogne, ça castagne, ça se crêpe le chignon entre voisins de palier, une rue d’aujourd’hui, bien calée dans ses trottoirs, avec ses cavernes d’Ali Baba, de Moshé et de madame Django, ses coups de massue et ses caresses légères, où les voisins ne sont pas de faïence, enfin… quand ils ne s’embrochent pas ! une rue où le merle flûte et la chèvre béguète. Oui parce qu’Alain Schneider est un zoologiste (j’adore les gros mots !) qui s’amuse : pour lui, les mots sont précis comme des horloges et sonores comme des billes. Et sa rue grouille de mots qui clochent, qui vibrent, qui clappent, qui vrombissent, alors les chèvres béguètent, les souris chicotent, les cygnes trompètent, et les humains aimeraient tant voler, une rue qui nous fait un sacré raffut, violons, guitares, saxos et clarinettes, et la voix magique de Rokia Traoré sortie d’on ne sait où, envoûtante, cristalline, pour célébrer le mariage du sable et du ciel, quand on vous dit qu’il ne se moque pas du monde, Alain !
Oui, la rue est à tout le monde. Même aux vendeurs de nounours au prix fort fabriqués à l’autre bout de la planète pour des clopinettes, tous ces Jean cousus d’or qui comptent sur leurs doigts bagousés, sur leurs chéquiers, et surtout sur le travail des autres, et même des enfants. Alain met la note là où ça lui fait mal. Mais le monde marche aussi comme ça. Bancal, cruel, bouffi de suffisance.
A l’entracte que nous nous offrons, Alain et moi, seuls dans son album, il me parle de ce gamin rencontré à la fin d’un concert, avec qui il parle. Un gamin « en surcharge pondérale », comme on dit hypocritement avec un langage d’homme moderne. Cette rencontre a donné naissance à sa chanson « l’âge de graisse », et Alain me dit : écoute-là, je ne voudrais pas qu’elle fasse du mal, dis-moi ce que tu en penses. Voilà. Ça, c’est Alain.
Pas étonnant qu’Alain Schneider arrive à ses rendez-vous avec un quart d’heure de retard ! Un quart d’heure de retard, c’est peu de chose pour un type qui marche dans la rue et qui n’a pas les yeux dans sa poche ; les oreilles dans le sac ; et les neurones dans les chaussettes. Alain Schneider fait son marché dans la rue. Marché de mots, d’images, de sons, de gestes qui s’empilent dans son cabas. Son cabas à chansons. C’est un curieux, un avide.
La rue est à tout le monde, mais tout le monde ne la voit pas. Vincent Roca


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Slarue 303 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines