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Le Théologien dissident, de Santiago Montobbio (une lecture de Jean Dif)

Par Florence Trocmé

Santiago Montobbio, poète de la solitude et de l'échec acceptés.

Sous le titre Le Théologien dissident, les éditions Atelier La Feugraie viennent de publier un choix de poèmes de Santiago Montobbio traduits par Jean-Luc Breton. Ce nouvel ouvrage offre aux lecteurs français un panorama assez complet de l'œuvre déjà abondante de l'un des poètes espagnols majeurs de sa génération.

Santiago Montobbio, poète catalan qui écrit en castillan, est né en 1966 à Barcelone. Il commença à écrire tôt et reçut presque immédiatement des éloges dans son pays. Il a publié ses premiers poèmes dans la revue Revista de Occidente en 1988. Il reprit plus tard ceux-ci dans son ouvrage: Hospital de Inocentes (1985-1987). Par la suite, il a publié plusieurs autres titres: Etica confirmada (1990), Tierras (1996), El Anarquista de las Bengalas (2005). Le théologien dissident (2008), dont il est ici question, regroupe des poèmes de ces recueils. Santiago Montobbio a été traduit en plusieurs langues et publié dans plusieurs pays européens, notamment en France et en Italie, et aussi en Amérique. Il a occupé le poste de vice-président de l'Association pour le Rayonnement des Langues Européennes (Arle).

La poésie de cet auteur est frappée au coin de l'authenticité. Le lecteur sent d'emblée qu'elle est le produit d'une impérieuse nécessité intérieure. Le poème émanant d'un puits creusé au plus profond de la conscience, dont l'eau salvatrice ne remonte qu'à de rares moments privilégiés, tout regard extérieur porté sur cette éminente intimité est perçu comme une profanation. Dès lors, le jugement porté sur son œuvre, qu'il soit ou non favorable, ne saurait troubler le poète. Santiago Montobbio affirme que, si sa poésie lui avait valu le succès matériel, il aurait pris cette chance pour une forme d'agression. Ces fragments de fausse autobiographie que sont les poèmes, quelle que soit leur sincérité, rendent d'ailleurs mal compte de la personnalité de celui qui les délivre; il serait illusoire de réduire celle-ci à ces quelques traces écrites. Il y a quelque chose de tragique pour le poète dans le fait de reconnaître que sa voix ne profère que des demi vérités, et que la poésie, cette forme laïque de la rédemption, n'est, à tout bien considérer, rien d'autre qu'une sorte de stratagème. La poésie est-elle autre chose qu'une manière de prendre le pouls des misères humaines?

A la lecture des poèmes de Santiago Montobbio, on a l'impression d'être un orpailleur dont chaque avancée lève des miracles qui l'émeuvent parce qu'ils sont vrais. Une étrange musique en émane qui doit beaucoup au cadencement de vers de longueurs différentes harmonieusement agencés. On sent poindre à travers ces vers la nostalgie de l'indicible, de l'inatteignable, l'angoisse de l'inachevé, source de la solitude hivernale d'un homme qui marche à côté de son ombre, à moins que ce ne soit l'ombre d'un étranger qui marche à côté de lui, un homme soumis à la stupide et féroce tyrannie d'un temps dans lequel rien n'existe et où tout n'est que jeu à se trouver puis se perdre, la stratégie d'un corps vide, sans destin, combiné à une voix perdue confinant à l'infini. Dans l'un des textes de Montobbio, le colonel d'une armée absurde, sans bannières ni médailles, urine comme un soldat, comme un enfant, et même si l'urine des dieux est sacrée, le colonel sans galons sait qu'à chaque instant son nom est vide et qu'il mourra pour une cause sans intérêt. Tout ce que l'on fait certes est vain et l'on vit, un jour de plus, sans motif, chacun le sait. Toute forme d'activité ne peut aboutir qu'à un échec d'où le pessimisme, la tristesse essentielle qui nous étreignent. Comment parvenir à se mettre dans la peau d'un autre si ce dernier ne peut qu'être un écorché. La vie d'ailleurs n'est-elle pas une peau qui rêve une autre peau? Le poète envoie des lettres sans adresse parce que le destinataire est mort. La page blanche ressemble à un confessionnal vide. Le poète parle au pluriel pour feindre de n'être pas seul. L'écriture est une manière de sacrifice, l'ombre d'une proie qui se dérobe; écrire est une forme du suicide. Mais si l'art débouche toujours fatalement sur un échec, il est aussi une victoire dans la mesure où l'esthétique de l'échec est une éthique.

Comment s'étonner que la pluie, le froid, la peur, les cendres ou la neige soient si souvent présents dans les images jamais gratuites de cette littérature du renoncement fait ascèse? Santiago Montobbio ne recherche pas les effets gratuits. Son écriture, intuitive et savante à la fois, émaillées d'aphorismes, n'en est que plus efficace, plus empreinte de sincérité et c'est par là qu'elle nous touche; on la sent surgie, je l'ai dit plus haut, d'un endroit profond, enfoui dans l'obscurité de nuits intérieures ponctuées d'éclairs de chaleur, d'où ne sortent jamais que des questions sans réponse.
La poésie de Santiago Montobbio, une poésie pessimiste, certes, mais pas désespérée car son auteur sait bien que les terres du suicide ne sont jamais des terres stériles. Même si toutes les matinées naissent mortes et si le poète parle au nom de Rien, l'encre est son sang et le poème contribue à son rachat comme à celui de la médiocrité des jours qu'il est contraint de vivre.
Ecrire est un exercice radical de liberté.

Contribution de Jean Dif

Montobbio
Santiago Montobbio
Le Théologien dissident
traduit de l’espagnol par Jean-Luc Breton
Atelier La Feugraie, 2008
128 p. 14 €


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