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Incitation à l’émeute. Billet de plouc complètement réac.

Par Georgesf

Incitation à l’émeute. Billet de plouc complètement réac.

Incitation à l’émeute. Billet de plouc complètement réac.
 

Je suis d’un naturel posé, un homme d’ordre. Après les repas entre amis, je décrète que les chiens ont l’avantage d’être affectueux, et que les chats seront toujours mystérieux. Je vote toujours pour les gouvernements sortants, les députés sortants, les coquins sortants, je donne des chèques aux œuvres, j’applaudis tous les défilés qui passent, je rêve de recevoir les Palmes académiques (qui pourrait m’arranger ça ?). Bon époux, bon père. Et si je rangeais mon bureau, je pourrais être considéré comme un citoyen modèle. Mais, la semaine dernière, en préparant ma documentation pour mon prochain roman, j’ai eu envie de filer m’acheter une chemise rouge chez Tati et d’appeler à la révolution. C’est la faute de l’Art. Pas le classique, le contemporain. Celui des non-ploucs.

Mon prochain roman (pas « Le film va faire un malheur », ça, c'est celui qui va sortir en fin décembre, mais je parle de celui que j’écris actuellement) aura pour thème l’imposture. Et plus précisément l’imposture historique et artistique. C’est très compliqué à expliquer, à mon avis la quatrième de couv’ fera 256 pages. Pour me documenter, j’avais donc prévu d’aller à la FIAC ce week-end. L'endroit rêvé, non ?

La FIAC, c’est la foire internationale d’art contemporain. Ne riez pas, il n’y a encore rien de drôle. Et jeudi soir, peu avant ma visite, j’ouvre le journal télévisé. Vingt minutes de cauchemar pour commencer. On nous annonce le plongeon de la bourse. Il y en a qui vont hausser les épaules en pensant « Tant pis pour les rentiers ». Ils ont tort, les vrais rentiers sont les seuls à s’en fiche. Les vrais pigeons, ce seront les petits vieux qui avaient placé en Sicav l’épargne de toute une vie pour s’assurer un complément de retraite leur permettant de finir ailleurs qu’à l’hospice. Ce seront les jeunes couples qui, après avoir économisé pendant des années pour s’acheter leur appartement voient soudain leur apport personnel s’envoler, léger, léger. On a enchaîné gaiement sur les prédictions de chômage, de restriction des dépenses de santé, de réduction du train de vie, on a parlé de l’inéluctable crise sociale. Pour rendre ça plus vivant, on a conclu par de jolis reportages sur les usines textiles, agroalimentaires, automobiles, qui commençaient à licencier massivement, les commerçants qui ne vendaient plus rien et qui n’allaient pas tarder à fermer.

Et vint la page culturelle, la page de la Fiac. Ouf !

Incitation à l’émeute. Billet de plouc complètement réac.
On entrait dans un monde bien propre, à l’abri du populaire, des vieux, des chômeurs, des gens qui sentent la transpiration vers huit heures du soir car ils bossent depuis huit heures du matin non-stop. Les filles avaient de longues jambes et des chaussures moulées, les hommes des sourires à la Dorian Gray. Et tous ces gens étaient heureux d’être ensemble, si beaux, si intelligents, eux seuls pouvaient comprendre le message caché derrière ce tas de charbon noir. Non, je n’invente pas de clichés, c’est vrai (voir photo).
Incitation à l’émeute. Billet de plouc complètement réac.
D’autres déambulaient gravement devant le stand du marchand parisien Yvon L…qui explique doctement à l’AFP : « "Les affaires prennent peut-être un peu plus de temps, il y en a qui réfléchissent peut-être un peu plus. Avant, l'achat était plus impulsif. Maintenant, on reparle vraiment d'art.". C’est vrai, quoi, quand on réfléchit devant des étagères remplies de flacons rouges, les affaires prennent plus de temps, mais c’est vraiment de l’art. non, je n’invente pas, regardez l’autre photo. C’est justement pris chez Yvon L….

Incitation à l’émeute. Billet de plouc complètement réac.
Et vous savez ce qu’il faut comprendre quand on appartient à l’élite ? Eh bien, « on entre dans la pièce couloir aux murs à étagères, baignant dans une lumière rouge; sur les étagères, les 600 petits flacons de sang sont là, avec des instructions mettant en lumière l’absurdité des définitions par le sang, nationalisme, religion, racisme. C’est une installation très prenante. Notre corps est en jeu, rougi, oppressé, gêné ». Je cite, je n'invente pas. On se sent très pris, on devient meilleur, citoyen du monde. On donnera peut-être 50 centimes au clodo à la sortie, même s’il pue.

Et en voyant tout cela, je pensais à Baudelaire. Il avait de la chance, Baudelaire : quand il allait au Salon des Indépendants, il avait de quoi commenter, de quoi dire des trucs fins, intelligents, qui restent fins et intelligents 150 ans plus tard. Il avait de quoi dénicher des talents qui sont maintenant des célébrités. Et j’essayais d’imaginer Baudelaire dans cette foire. Je crois qu’il se serait montré violent, il aurait crié « Il faut fusiller le Général Aupick », il aurait emmené les émeutiers. Le général Aupick, pour mémoire, c’était son beau-père.

Et soudain, je me suis senti émeutier, comme lui. Un ange avait fait son apparition : c’était l’Acheteur des Musées de France. Oh, le bel « A » ! Il était venu dépenser la tire-lire qu’on lui avait confiée. Il passait de stand en stand avec de bons sourires complices. Et il flambait ! Il s’arrêtait devant une antenne parabolique bleue, ornée de quelques allumettes entremêlées en son milieu, et il se sentait interpellé (si, si, c’est vari, ça aussi). Et hop, j’achète ! Mais attention pas poire, le gars ! il NE-GO-CIAIT, il faut dire ça d’un air émerveillé. Non, non, 15.000 euros, c’est trop, c’est l’argent de l’Etat, je vous en donne 12.000, et il repartait avec un glorieux sourire de requin bleu. Je l’ai vu traverser les stands, dépenser glorieusement sa cagnotte de 400 000 euros. On annonçait aux Rmistes qu’ils allaient devoir se serrer la ceinture, alors il faisait pareil : il pres-su-rait les galeristes, ha, ce n’est pas n’importe qui l’Acheteur des Musées de France !

La colère n’est toujours pas retombée. C’est l’argent de la crise que ce type flambait en jouant à la marchande. On vient d’assister à un monumental krach boursier où se sont effondrées les illusoires valeurs financières. Il n’y aura pas de krach artistique : ces tableaux ne sont pas destinés à être vendus, mais à être exposés dans des musées glorieux où Monsieur l’Acheteur passera comme un roi-soleil : « Tout ça, c’est moi ! ».

Pauvre Baudelaire. Pauvres artistes aussi qui, en voyant ça, doivent avoir envie de devenir peintres en bâtiment. Ou d’aller fusiller le Général Aupick !


Complètement réac, ce billet, bien sûr. Mais c’est comme ça, il y a des moments où ça fait du bien de réagir. C'est ma nature qui sort, je ne peux pas toujours jouer à l'écrivain du Flore.

Le visuel du haut, c’est très beau. Je vais l’exposer à la Fiac l’an prochain. Si l’Acheteur passe, je le laisse négocier jusqu’à 10.000 euros. C’est la gamelle du chat.


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