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Les X de Jean Bollack

Par Florence Trocmé

rappel :
Depuis des décennies, Jean Bollack tient un journal ; ses notes, marquées X et suivies d'un numéro, réunissent des observations et des réflexions faites au fil des jours, et se répondent à distance. Elles développent des positions prises à la fois dans la sphère du travail et dans un cadre plus large. Quelques-unes sont publiées sur ce site. Jean Bollack en a confié d’autres à Poezibao, concernant la poésie, qui seront publiées au cours des prochaines semaines.

X 2139. 2 septembre 2007

Dans Ovide, Eros lui-même règle le rapport de l’amour et de la poésie. Il fait aimer à Apollon le corps d’une femme superbe ; le dieu n’est que désir. Le même Eros inspire symétriquement à Daphné, l’aimée, par une flèche tirée en sens contraire, un refus tout aussi puissant de l’amour. Apollon court, il poursuit la fille ; à la fin, il la rejoint. Il l’emporte à la course, en dieu qu’il est, mais au moment où il rejoint la femme, il tient un arbre dans ses mains. Nourricier, comme le sont les fleuves, Pénée, le père de Daphné, a protégé sa fille en la transformant en un laurier, l’emblème de la poésie ; la passion est donc proprement implantée. Pénée s’est soumis le dieu, il l’a conduit à un aboutissement de vie, où le désir amoureux, et avec lui la beauté, sont reconvertis. La gloire de la poésie s’est substituée à la femme. Le récit du drame se lit ainsi dans les Métamorphoses (I, 452-566).

La rencontre a lieu, la fuite de Daphné ne l’y a pas soustraite. Au terme de la course, la possession du corps désiré, au moment où elle devait fatalement se faire, se fait bien, mais autrement. L’union a lieu, mais l’objet a changé de nature. Quand le dieu saisit Daphné, ce sont des feuilles qu’il touche. Son propre désir amoureux les a créées, au lieu où elle est. Il s’est “dépensé” pour elles. Un dieu ne se dépense pas, il obtient toujours, mais dans ce cas, c’est ce qu’un autre dieu, plus élémentaire, lui réserve. Or Eros a cette supériorité : il est aussi maître de sa négation, du non-amour. C’est comme si le poète, dans cette histoire, voulait montrer qu’Eros ne domine pas moins son dépassement. Ne pas aimer, c’est encore de son domaine - un domaine ouvert à l’absence et à l’échec. Il sait aussi se refuser.

©Jean Bollack.

Contribution Tristan Hordé


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