Magazine Beaux Arts

Futurisme immobile

Publié le 29 octobre 2008 par Marc Lenot

Nous exigeons pour dix ans la suppression totale du nu en peinture !!!
Il faut tuer le clair de lune !!!
Comment peut-on, avec des artistes aussi anarchistes, aussi iconoclastes, aussi drôles, faire une exposition aussi sage, aussi plate ?

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L’exposition du Centre Pompidou sur le futurisme, jusqu’au 26 Janvier, est bien faite, didactique et sage; elle est certes limitée dans son champ, axée surtout sur la dialectique cubisme / futurisme, avec quelques échappées vers le vorticisme ou l’orphisme. Elle est, en un mot, ennuyeuse comme un cours à l’Ecole du Louvre. Oh, il y a bien le Manifeste et l’édition originale du Figaro où il parut, avec, rarement cité, le chapeau suivant : “ .. des idées singulièrement audacieuses et d’une outrance souvent injuste pour des choses éminemment respectables et, heureusement, partout respectées.” Ah, imaginer aujourd’hui, sans parler de ce qu’est devenu le Figaro, le manifeste d’une école artistique quasi inconnue en première page d’un grand quotidien : o tempora, o mores !. Il y a donc une belle collection de tableaux, on a même déniché les deux seuls futuristes français, un mâle et une femelle de cette espèce rare. Ceci dit, ladite Valentine de Saint-Point, dont j’ignorais tout jusqu’ici (mais vous êtes déjà conscients de mon ignorance crasse dans ce champ; et pourtant, elle a apparemment inventé la performance artistique) n’a pas l’air piquée des hannetons non plus : “La luxure est une force ! Vive le viol des vaincus !!”. Mais c’est vrai qu’un bon nombre de futuristes n’ont pas très bien tourné, au sens de la morale commune.

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Et tout ça est bien immobile: la scénographie peut plaire, avec des couleurs audacieuses, à faire hurler les conservateurs et les dames du monde, mais on s’y fait. Mais il n’y a pas de films, ils ont tous été relégués au sous-sol du Centre, rien dans l’exposition. Ou si, plutôt, au lieu des splendides expérimentations filmiques des futuristes, une salle entière est dédiée à un ‘pionnier de la musique techno née à Detroit’, Jeff Mills (que bien sûr je ne connaissais pas non plus, vu mon appétence pour ce type de musique); c’est d’ailleurs assez distrayant, les conservateurs de Beaubourg ont voulu faire branché. Mais je dois reconnaître qu’il a toutefois intégré dans sa techno-salle un beau film de Giannina Censi, une aéro-danse futuriste, perturbante à souhait.

Donc, pour aller voir Loïe Fuller, le Lingotto, Pacific 231 ou la Journée d’une paire de jambes, il faut aller au cinéma: on se croirait revenu 20 ans en arrière, niant la valeur du film exposé au lieu du film projeté. Pas de photos non plus, le Nu descendant un escalier ou la Jeune Fille courant sur le Balcon n’auront pas la compagnie de Marey ou de Muybridge. Ah, néanmoins, un petit bonheur sur papier, la petite Jehanne de France illustrée par Sonia Delaunay (La Prose du Transsibérien) : dis Blaise, sommes nous bien loin de Montmartre ?

Bon, et les tableaux futuristes, alors ? Mais ce sont d’excellents tableaux, une école remarquable, une modernité incroyable. Allez voir cette exposition, gardez un oeil critique, ressortez un peu frustrés, grognez, mais regardez !

Regardez cette incroyable composition de corps emmêlés, de jambes levées, de jupes qui s’envolent, de corps qui se frôlent, de musique qui fait vibrer, qui met en transes, regardez ces éclats, ces ruptures, ces diffractions, ces explosions. Personne n’a jamais peint ainsi avant. C’est La Danse du ‘pan-pan’ au Monico, de Gino Severini. C’est un remake de 1959/60, l’original (de 1909/11) ayant brûlé. Severini a l’audace de refaire le tableau, au mépris des usages, des bonnes manières (en haut de la page).

Et cette flèche rouge qui vous pénètre, qui vous défonce, vous déchire, cette onde de choc, connaissez-vous beaucoup d’autres réinventions de la forme, beaucoup d’autres expressions physiques, sensuelles de cette violence ? C’est le prolétariat en marche (ou, tout aussi bien, les futures chemises noires, d’ailleurs) c’est La Révolte (1911) de Luigi Russolo (au milieu de la page).

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Révolte aussi, défi à la face du monde, tentative impossible de marier modernité industrielle et refus du monde capitaliste, si impossible d’ailleurs qu’il en est mort, l’anarchiste Galli dont on célèbre ici les Funérailles, (ci-contre) dans un affrontement violent avec l’ordre, avec les forces de l’ordre (et le cubisme est du côté de l’ordre, justement). Carlo Carrà a peint ici la simultanéité, la violence, la rupture dynamique (1910/11).

Après ces fulgurances (et quelques autres, Boccioni, Balla), les discours sur le cubo-futurisme et le futuro-cubisme manquent singulièrement de vitalité, pour rester poli.

Photos courtoisie du Centre Pompidou. Les photos des toiles de Severini et de Carrà, qui sont représentés par l’ADAGP, seront ôtées du blog à la fin de l’exposition.
Gino Severini 
La Danse du « pan-pan » au Monico, 1909-1911/1959-1960 Huile sur toile 280 x 400 cm Centre Pompidou-Musée national d’art moderne, Paris Don de Mme Severini et des ses filles,1967 Réplique de la peinture originale (1909-1911) réalisée à Rome par l’artiste en 1959 – 1960 © CNAC / Mnam Dist. RMN / Droits réservés © Adagp, Paris 2008.
Luigi Russolo
La Rivolta, 1911 [
La Révolte]
Huile sur toile 150,8 x 230,7 cm Gemeentemuseum Den Haag,
La Haye
© Gemeentemuseum Den Haag,
La Haye.
Carlo Carrà I Funerali dell’anarchico Galli, 1910-1911 [Les Funérailles de l’anarchiste Galli] Huile sur toile 198,7 x 259,1 cm The Museum of Modern Art, New York / Acquis grâce au legs de Lillie P. Bliss, 1948 Digital Image © 2007, The Museum of Modern Art, N.Y / Scala, Florence © Adagp, Paris 2008.


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