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Avec l'éclipse de la comète

Publié le 29 octobre 2008 par Menear
A imaginer lu dans le silence de mes méninges capitonnés, tapissés pourtant de Mike Garson glacial en vase clos, et dehors-dedans l'air tout aussi sec qui glisse à chaque ouverture de portes, pendant que la nuit s'écarte tout d'un coup en sortant de la grotte, passé Gare de Lyon.
Quand José Eugenio s'en fut occuper sa place dans la première cour carrée de l'école, il eut l'impression de sentir passer, dans sa région cérébelleuse, une comète gouvernée par la grosse voix d'un nain bourguignon, avec une cravate chiffonnée par les compartiments étroits qui, dans l'armoire, ceignent les vêtements de la gaze camphrée des feuilles d'automne. Quand ses images coïncidaient avec l'éclipse de la comète, il extrayait des formes animées du tableau, tout en les tirant aussi de sa propre totalité, la diversité uniforme des bottines, et le style, traduction charnelle des différents âges, des cols.
(...)
Quand José Eugenio entra dans la classe, la figure qu'il distingua le moins clairement parmi le monstre scintillant et merveilleux étendu à sa portée fut celle du maître. Il la voyait à travers la brume et le feuillage, monstre armé de tridents, polyèdres qui s'entrouvraient pour dérouler des flagelles nerveux, tel un hippocampe posé sur la carapace d'une tortue tricentenaire. Et en face, un autre monstre, irréconciliable avec le premier, et qui le surprenait par son immobile étendue et le caractère matinal de ses téguments. Il commençait à pénétrer dans le monstre de l'étendue, quand le petit directeur, depuis ses valves, se mit à se dévoiler, comme retirant des robes de chambre bariolées sous les projecteurs d'intentions malicieuses à l'endroit de ses perversions et de ses monosyllabes. Parfois, pour souligner un son, il allongeait une main droite qui se terminait par un pouce et un index rejoints en deux arcs de cercle, pour enfin rompre rapidement, par de sifflantes syllabes finales, le cercle formé. Quelques claquements de mains, comme pour propulser les sons et briser leur coque. On aurait dit que son lent ânonnement allait reposer cette triste coquille sur le vernis gémissant de la table magistrale, nouvellement repeinte. Devant lui, le monstre d'étendue laissait à peine un instant à José Eugenio pour isoler quelques-uns de ses gestes ; il se perdait dans l'immensité abstraite du monstre enfermé dans cette grotte.
José Lezama Lima, Paradiso, Points, trad : Didier Coste, P.115-117.

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