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Bonapartisme

Publié le 30 octobre 2008 par Zelast

Lu dans libération..................


       
Politiques  30 oct. 6h51

Sarkozy :  un bonapartisme de crise

Par Alain Duhamel

Nicolas Sarkozy n’est pas Bonaparte mais ce qu’il met en œuvre, jour après jour, depuis que les marchés financiers sont entrés en convulsion et que l’économie hoquette, relève bel et bien du bonapartisme de crise. Pour commencer, la gravité de la situation se traduit par une concentration et une personnalisation du pouvoir sans précédent dans l’histoire des républiques françaises. Le Président préside, gouverne, inspire, applique, reçoit, persuade, annonce, commente, assume. Il est tout et il est partout. Déjà, lors du conflit entre la Russie et la Géorgie qui risquait de s’achever par un protectorat poutinien à Tbilissi, il avait pris les choses en main, volé vers Moscou puis vers la Géorgie, bousculant les rites diplomatiques, enjambant les lentes procédures européennes pour négocier à l’arraché un cessez-le-feu frustrant et salvateur. Pour la première fois, l’Union européenne s’était comportée comme un acteur décisif lors d’un conflit surgi à ses frontières, parce que pour la première fois le président en exercice du conseil européen avait agi en leader charismatique et non pas en primus inter pares. Ce n’était pas orthodoxe mais c’était efficace. Le temps d’une crise, Nicolas Sarkozy avait bonapartisé l’Europe.

C’est ce qu’il fait à la puissance dix depuis que l’économie-monde est atteinte d’épilepsie. A l’échelle nationale, Nicolas Sarkozy est omniprésent, omnipotent, omnidirectionnel, sinon omniscient. C’est lui qui reçoit les banquiers, les secoue, les admoneste, les met sous pression, pas Christine Lagarde. C’est lui qui rencontre les dirigeants de l’Union syndicale des magistrats, les écoute, les comprend, les réconforte, pas Rachida Dati. C’est lui que se rend en Haute-Savoie pour annoncer des mesures financières en faveur des PME, pas le Premier ministre François Fillon. C’est lui qui va à Rethel rendre publiques des décisions en faveur de l’emploi, pas Xavier Bertrand. Face aux épreuves et aux périls, le président bonapartiste se métamorphose en Vishnou, le dieu aux quatre bras. Le gouvernement suit, le Parlement s’incline, les médias médusés répercutent. Les ordres viennent de l’Elysée, les idées sortent de l’Elysée, les paroles tombent de l’Elysée. Face au dragon de la crise, il ne saurait y avoir qu’un chevalier en armure, saint Nicolas. Au pire de la Première Guerre mondiale, Clemenceau commandait mais le Parlement existait. Au pic de la guerre d’Algérie, De Gaulle surplombait mais Debré existait. Cette fois-ci, nous sommes dans le scénario bonapartiste. Le Premier consul commandait les armées, dictait le code civil, créait la Comédie-Française, surveillait le programme des lycées, dictait les journaux et négociait le Concordat. La gravité de la situation le galvanisait et décuplait sa fringale de pouvoir. Lui seul savait, lui seul était la solution. Sarkozien.

La Ve République facilite cette pente sans même qu’il soit besoin de tyrannie. L’Union européenne, en revanche, n’est en rien façonnée au monde du bonapartisme. Elle est nourrie de culture parlementaire et imprégnée de susceptibilités nationales. Le carcan du vote à l’unanimité pèse lourdement, la bureaucratie de Bruxelles défend bec et ongles ses procédures, malheur à qui ignore les compromis nécessaires qui perdurent au sein de l’eurogroupe des Quinzeet du Conseil européen des Vingt-sept. L’Europe est une oligarchie ombrageuse et soupçonneuse, plus proche de la république de Venise que de la Ve République. Nicolas Sarkozy bouleverse tout cela au pas de charge. Face à la crise, s’appuyant sur elle, il saisit les commandes comme personne avant lui. Il innove, bouscule, heurte, froisse mais entraîne. D’ordinaire, le président semestriel du Conseil européen associe son prédécesseur et son successeur à ses initiatives. Avec lui, pas question : le sympathique slovène et l’importun tchèque sont tout simplement oubliés, la commission de Bruxelles est aspirée et morigénée, la BCE est associée, l’eurogroupe est bouleversé.

Nicolas Sarkozy harcèle les chefs de gouvernement, multiplie les sommets, invente une réunion des chefs de gouvernement des Quinze, invite Gordon Brown, l’ennemi héréditaire de l’euro, à s’y joindre, convainc les Vingt-sept, créé un front commun pour sauver le système bancaire, puis pour imaginer les régulations nécessaires afin de remettre sur pied un système financier qui marche sur la tête. Avec lui, l’Europe existe, le Royaume-Uni se rapproche, les Quinze agissent comme une puissance collective, les Vingt-sept ressemblent enfin moins à un kaléidoscope qu’à une force commune. Le bonapartisme a réinventé l’Europe dans la crise, pris la tête d’une coalition. L’Allemagne rechigne, Jean-Claude Juncker s’agace, Jose Manuel Barroso se résigne. Jamais un président du Conseil européen n’a déployé autant d’activité et d’autorité. Jamais un modèle bonapartiste n’avait submergé auparavant le système de pouvoir cadenassé de l’Europe.


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