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Oedipe mal résolu

Par Inisfree

Âmes sensibles, amateurs de bon goût, passez aujourd'hui votre chemin. Voici l'histoire de monsieur Sadao, petit patron (ou petit chef, je ne suis pas sûr), séduisant la délurée mademoiselle Yuka, employée. Il pleut des cordes en noir et blanc. Après une étreinte poussée en voiture, monsieur Sadao entraîne mademoiselle Yuka chez lui. Il fait nuit, mais monsieur Sadao garde ses lunettes sombres façon Wong Kar-wai qu'il ne quittera quasiment jamais. Il fait visiter son appartement, petit et dépouillé jusqu'à l'exubérance. C'est celui du réalisateur. Nouvelles étreintes. Nue dans l'encadrement d'une porte, mademoiselle Yuka rappelle à Monsieur Sadao sa femme qui l'a quitté. Toutes les mêmes pense monsieur Sadao en voix off. Âmes sensibles, si vous êtes encore là, c'est mon dernier avertissement.

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Le jeu expressionniste de Hatsuo Hamatani laisse vite penser au spectateur le moins éveillé qu'il y a quelque chose de pourri au royaume de monsieur Sadao. Effectivement, monsieur Sadao drogue mademoiselle Yuka. Il l'attache comme savent le faire avec art les japonais puis il sort un grand fouet. Il zèbre alors le corps à la peau si blanche de marques sombres esthétiquement réparties tout en insultant copieusement mademoiselle Yuka. Mademoiselle Yuka se tortille érotiquement mais douloureusement puis monsieur Sadao la taquine avec un rasoir. Plus tard, il la fera marcher à quatre pattes comme un chien. Enfin, il faudrait écrire une chienne mais ça pourrait être mal perçu. Ainsi s'écoule la nuit.

Bien sûr, monsieur Sadao a ses raisons. Que la raison ignore. Sa femme voulait un enfant. Pas lui. Il s'était même fait opérer pour éviter tout ennui. Madame a alors eu recours à l'insémination artificielle ce qui a rendu monsieur Sadao un peu brutal et plein de ressentiment. Sa femme est donc partie alors il passe ses nerfs sur mademoiselle Yuka. Mais celle-ci ne reste pas inactive. Son esprit et son corps se tendent vers la fuite. Elle tente de séduire monsieur Sadao en se montrant soumise. Il faut dire qu'entre deux séances de fouet, monsieur Sadao montre toute l'étendue de sa détresse en se blottissant contre elle comme un enfant. Tentative de fuite qui échoue. Un échec aux conséquences douloureuses. Mademoiselle Yuka n'est pourtant pas brisée et le film s'achemine vers son issue tragique.

N'étant pas un familier du genre Pinku Eiga (« Film rose » ou cinéma érotique nippon), je ne savais pas trop à quoi m'attendre avec Taiji ga mitsuryo suru toki (Quand l'embryon part braconner) le film de Koji Wakamatsu, spécialiste du genre. Réalisé en 1966, sortit l'an passé en France par Zootrope films, il a écopé d'une interdiction aux moins de 18 ans. Au regard des critères de 2008, c'est quelque peu excessif. Mais les censeurs, âmes sensibles autant qu'hypocrites, ont sans doute réagit au titre provocateur tout en digérant mal le mélange d'érotisme, de sado-masochisme et de fable politique. La femme, dans le cinéma japonais, est très souvent représentée en butte à la violence des hommes. C'est vrai chez Mizoguchi et Kurosawa comme chez Oshima, Immamura ou Suzuki. Cette violence, montrée souvent de façon assez directe, semble compenser une difficulté à pouvoir représenter les actes sexuels et la nudité. Au Japon, on floute les poils. Ainsi le film de Wakamatsu est explicite côté coups de fouets tandis qu'il déploie des trésors d'imagination dans les cadrages pour ne pas (trop) montrer les endroits stratégiques de mademoiselle Yuka. On est loin en la matière de l'équilibre du giallo italien de la même époque. On comprend mieux l'importance et les problèmes rencontrés par Ai no corrida (L'empire des sens – 1976) de Nagisa Oshima avec son approche frontale de la représentation du sexe. Il se trouve, tiens donc, que ce film a été produit par Koji Wakamatsu.

Quand l'embryon part braconner est un huis clos étouffant entre What ever happened to Baby Jane de Robert Aldrich ou la dernière demi-heure de I corpi presentano tracce di violenza carnale de Sergio Martino dont il faudra que je vous entretienne. Deux personnages, un lieu unique, un rapport dominant/dominé, une lutte autant physique que psychologique et du style, beaucoup de style. Le film est réalisé en un superbe noir et blanc que l'on doit au chef opérateur Hideo Itoh (qui officiera sur le film d'Oshima). Il déploie des effets de reflet de l'eau dansant sur les murs, ondulant sur les vitres mouillées de pluie. La lumière est tour à tour sombre et terrifiante quand elle étire l'espace d'un simple couloir, blanche et onirique lors des flash-backs, violente et crue sur le corps épuisé de mademoiselle Yuka. C'est de toute beauté, contrastant avec les agissements quasi animaux des protagonistes.

La mise en scène de Wakamatsu est d'une constante invention. Il alterne passages hystériques, plans surréalistes et moments quasi contemplatifs dégageant une étrange tendresse. Malgré le côté exercice de style de l'entreprise, il transcende ses faibles moyens et tire le maximum de son dispositif minimaliste. Fouet, corde, baignoire, rasoir, pas un objet du petit appartement qui ne se révèle un instrument de la souffrance infligée par monsieur Sadao à mademoiselle Yuka. Le film de Koji Wakamatsu est un conte cruel et sadien sur les rapports homme/femme que l'on pourra éventuellement lire en terme de lutte des classes si on est de bonne humeur. Comme le déclare son auteur : « Un film pink, c'est de l'agit-prop. Il s'agit de provoquer le public, d'interpeller de la manière la plus frappante qui soit les consciences ». J'imagine pourtant que sa sombre ironie et ses excès feront plutôt grincer les dents ce qui, vous vous en doutez, me réjouis et me donne furieusement envie de poursuivre mon exploration de l'oeuvre de notre homme.

Le site du film avec plein d'information, un dossier de presse très complet à télécharger, le bonheur.


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