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Je suis sinéphile

Publié le 05 novembre 2008 par Alainlecomte

une-sine-hebdo-4.1225889072.jpgEh oui, je tombe le masque. On me prenait jusqu’ici pour un garçon très bien, ne parlant dans son blog que de sujets nobles et littéraires… et pourtant, voilà la réalité : je suis un ignoble sinéphile. Moi qui n’ai jamais acheté « Charlie Hebdo » de ma vie, méprisant ses couvertures accrocheuses, me doutant que cet humour affiché soi-disant subversif ne cachait en réalité qu’un conformisme s’accommodant très bien de la situation ambiante (et même du sarkozysme ambiant), quand la crise a éclaté et que ce Val, que je trouve sinistre, a voulu évacuer le vieux Siné pour un prétexte ridicule (se ramenant en fait à un crime de lèse-sarkozysme), je me suis senti plein de sympathie pour ce dernier. Depuis le premier numéro de Siné-Hebdo, je les ai tous achetés et je me suis délecté à les lire.

Val, vous vous souvenez, c’est ce type qui se dit de gauche mais tire à boulets rouges sur tout ce qui bouge à gauche. Sur Chomsky par exemple, exhumant une vieille histoire de défense de la liberté d’expression (où le linguiste n’avait peut-être pas été clair, mais de là à l’accuser d’anti-sémitisme…) ou bien se référant à des attaques de cet intellectuel américain contre la politique du gouvernement Sharon pour le traiter d’antisémite. Bref, il existe une frange d’intellectuels en France, se disant de gauche, mais faisant leur fromage de toute velléité de défense de la cause palestinienne. Val est de cette frange. Siné pas. Lequel Siné a pourtant donné plus que son tribut à la lutte contre le racisme et l’anti-sémitisme.

Eh bien, Chomsky justement, causons-en.

Voilà que le dernier numéro de Siné-Hebdo (le numéro 9) lui consacre deux pages pleines sous le titre :

Noam Chomsky dissèque la crise
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(dessin Jiho, Siné-Hebdo n°9)

Le « célèbre linguiste », comme dit le journal, analyse de façon claire la crise que nous connaissons à partir du concept « d’externalité » :

« Par exemple, si vous me vendez une voiture, nous pourrions tous les deux faire une bonne affaire, mais nous ne prendrions pas en compte les conséquences de cette transaction sur les autres. Pourtant, si je vous achète une voiture, cela va augmenter la consommation d’essence, la pollution et les embouteillages, etc. Mais dans notre transaction, nous ne prenons pas en compte ces effets. C’est ce que les économistes appellent des externalités. »

Il explique ensuite que ces « externalités » sont considérables dans le cas des institutions financières, que les banques et autres prennent bien en compte dans leurs calculs la part de « risque », mais que ce risque est toujours limité à celui qu’elles doivent assumer individuellement, en propre, jamais le risque systémique (les dégâts causés aux autres banques en cas de faillite). Résultat : le risque réel est sous-évalué. Et les fameux « nouveaux produits financiers » ne font qu’aggraver cette tendance.

Ce que la crise montre alors c’est à quel point nous sommes bien dans un capitalisme d’Etat, un système « de socialisation des coûts et des risques et de privatisation du profit ». En somme, l’Etat dit : « prenez des risques, enrichissez-vous tranquillement, nous sommes là pour rattraper vos déboires. Nous, nous avons les reins solides et nous sommes solvables. Pourquoi ? Eh bien , pardi, parce que nous pouvons toujours lever l’impôt ! ».

Sur l’élection américaine, Chomsky n’y va pas de main morte :

« Il faut avoir à l’esprit le fait que l’éventail politique est très étroit aux Etats-Unis. C’est une société dirigée par le monde des affaires. Fondamentalement, les Etats-Unis sont un Etat à parti unique, avec un parti des affaires qui comprend deux tendances, les démocrates et les républicains ». Pas d’Obamania donc… Je crois savoir, par mes informateurs en Chomskyland, qu’au début de la campagne, Chomsky avait refusé de se prononcer en faveur de l’un des deux candidats et que c’est seulement dans les derniers instants qu’il se serait manifesté en faveur d’Obama… probablement plus en raison du spectre « Palin à la Maison-Blanche » que pour le programme du leader démocrate. « L’idiote qui vient du froid », comme l’appelle Siné, en a en effet refroidi plus d’un…

Mais je me rappelle ma conversation avec un collègue américain (engagé aux côtés des démocrates, mais plutôt pour John Edwards) venu faire un séminaire à Paris. Comme nous mangions ensemble le soir dans un petit restau indien du quartier de l’Odéon, et que je lui demandais son avis sur Obama, il me répondit en me donnant une tape cordiale dans le dos : « Hey ! We’ll CHANGE ! ».

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Il ne s’agit évidemment pas aujourd’hui de bouder son plaisir : évidemment on ne peut que se réjouir de la victoire d’Obama. Le symbole bien sûr. Mais justement : attention à la « mythologie du symbole » qui marche trop bien pour créer les unanimismes de façade. Nous sommes tous frères, n’est-ce pas ? tous identiques, tous unis dans la même Nation. La fabrication du consensus fonctionne à plein rendement. Il n’y a tellement plus de « différences » qu’on invite le camp d’en face à table : on nous dit depuis plusieurs jours que Robert Gates serait maintenu à la Défense ( !) et que Arnold Schwarzenegger ferait son entrée au gouvernement, à l’Energie !

En démocratie, (si démocratie il ya) ce n’est pas de consensus que nous avons besoin, mais (comme le disait Lyotard ) de dissensus.


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