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Le corps et l’espace : Antony Gormley

Publié le 27 juillet 2007 par Marc Lenot

à la Hayward Gallery à Londres, jusqu’au 19 Août.

Antony Gormley ne représente pas le corps, son corps, mais l’espace qu’il occupe. Vers la fin de l’exposition, une grande pièce est remplie de Matrices and Expansions, sculptures métalliques fines faites de tiges et d’air, suspendues au plafond, qui évoquent Gego. On y devine en creux plus ou moins clairement, un vide correspondant à un corps, emprisonné dans la masse. Dans un registre similaire, Sense est un bloc de béton à l’intérieur duquel le corps de l’artiste est en creux, obtenu par cire perdue; nous ne pouvons voir ce corps, seulement la tête et les mains, trous béants dans le cube de béton. Est-ce une tombe ? un pilori ? un corps secret ? Ailleurs (Mother’s Pride), ce même corps en creux est une empreinte dans des tranches de pain fixées au mur, figure littéralement mangée par l’artiste.

L’exposition débute par le gigantesque mécano de Space Station, un ensemble de boîtes métalliques percées de trous juché en équilibre sur une arête. Le tout pèse 27 tonnes et donne une impression de danger, d’écrasement. On aperçoit ici et là l’autre bord par des trouées, des espaces de respiration, mais on n’ose trop s’y risquer. A côté, la foule de Allotment (ci-contre) se presse : 300 personnages, chacun réduit à des blocs de béton vaguement anthropomorphes, avec la marque des orifices du corps et une vis sur la tête. Chacun est nommé, la plupart sont scandinaves. L’artiste est le numéro 254; j’ai découvert que je connaissais la numéro 141, mais je ne l’ai pas reconnue. Certains sont très grands, quelques-uns très gros; par endroits, des enfants se rassemblent. Les alignements sont un peu fantaisistes. On peut marcher au milieu de la foule, mais la plupart des visiteurs ne font que la longer. A côté, des moulages en bronze du corps de l’artiste, réalistes eux, sont suspendus la tête en bas et se balancent doucement (Critical Mass, ci-contre).

La pièce la plus impressionnante de l’exposition éponyme, celle devant laquelle les spectateurs font la queue, est Blind Light (photo en haut). C’est un grand cube de verre plein d’une vapeur humide et froide. De l’extérieur, on voit les ombres des spectateurs qui y pénètrent disparaître. A l’intérieur, on perd tout repère, on ne voit que le bout de son nez, on erre en cherchant la sortie. Il fait froid, et, comme le dit la critique de Time Out, on se sent “socially uncomfortable”, plutôt mal à l’aise. L’impression est très différente de la pièce ludique, colorée, chaude, intime et sensuelle de Ann Veronica Janssens à la dernière Biennale de Lyon. Les prudents longent les parois, les inquiets parlent fort (comme Dans le noir), les timorés marchent les mains en avant. Désorientés, seuls, nous prenons durement conscience de notre corps et de sa vulnérabilité.

Mais j’ai trouvé l’installation Hatch plus forte, plus dense. Imaginez un cube d’aluminium percé de milliers de petits trous réguliers, comme un Toroni. Par chaque trou, la lumière entre, par chaque trou, vous pouvez, de l’extérieur, regarder l’intérieur. Pénétrant ensuite précautionneusement dans le cube, vous devez naviguer entre un grand nombre de tubes plus ou moins longs qui émergent des parois, du sol et du plafond; ils entravent vos déplacements, vous devez les contourner, vous faufiler entre eux, non sans danger de vous cogner, de trébucher, de vous éborgner. Ce sont des tubes endoscopiques, faits pour voir à l’intérieur de votre corps. Etant à l’intérieur, vous pouvez coller votre oeil à une extrémité et regarder le monde extérieur. La lumière pixellisée se diffracte par tous ces orifices, on est désorienté, plus que dans Blind Light à mon sens, car, au lieu d’être sans repères, ce sont ici les repères mêmes qui vous trompent, vous déroutent. C’est une installation à la mesure de notre corps, nous en expérimentons tous les recoins, toutes les contorsions. C’est pour moi la pièce la plus emblématique du travail de Gormley visant à combiner l’installation elle-même, l’espace et le spectateur.

Enfin, tout autour du musée, sur les toits des immeubles de South Bank, le corps de Gormley veille en multiples exemplaires, comme hier sur la plage, un peu inquiétant. En voici un, vu depuis la salle conçue par Dan Graham sur le toit de la Hayward Gallery, Waterloo Sunset, et un autre devant le London Eye et Big Ben. Cliquez sur les photos pour découvrir les statues (Event Horizon).

Les deux dernières photos sont de l’auteur. Les autres proviennent du catalogue (Hatch) ou de sites Internet.


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