J.D. SALINGER me réconcilie avec la littérature. C'est pas que j'étais fâché, déçu ou aigri, non ; mais j'ai lu pas mal de choses depuis pas mal de temps, et ces derniers temps la proportion de bouquins inintéressants était devenue trop importante. Ça fait l'effet d'un renvoi : burp.
Salinger n'est pas n'importe qui à mes yeux. C'est parce qu'il a écrit L'Attrape-cœurs, c'est parce que je l'ai lu lorsque j'avais quinze ans et que je n'aimais pas lire qu'il y a eu un déclic. Un préalable, comme dirait l'autre.
L'HISTOIRE. La fratrie Glass a grandi à New York dans une maison cossue durant les années 30 et 40. L'aîné est mort à la guerre. Le second, Seymour, s'est suicidé. C'est le troisième Glass, Buddy, qui raconte l'histoire dans un style un tantinet précieux. C'est l'histoire de Franny, la cadette, qui tombe sous l'influence d'un livre un peu mystique, prônant la prière perpétuelle. Prenant le contenu de ce livre au pied de la lettre, Franny s'échappe peu à peu de la vie concrète et perd pied. Elle ne se nourrit plus, s'évanouit, perd du poids et traîne en robe de chambre dans le salon familial. Zooey son plus jeune frère, parce qu'on lui force un peu la main, va la trouver et tente de mettre les choses à plat, bien maladroitement.
Le roman se résume donc à de longs dialogues d'une finesse assez rare, dans un style parlé que les lecteurs de L'Attrape-cœurs connaissent bien. Les personnages ne sont pas seulement crédibles : ils sont réels, ils sont là devant nous. Avec leur insolence, leur sens inné de la répartie, leurs tics de langage, leurs manières. Les relations entre Zooey et Franny sont chargées d'émotion. Ils ont grandi ensemble à l'ombre des aînés, trop imposants ; et puis les aînés sont morts brutalement, alors... Comment trouver une contenance ? Comment être à la hauteur sans avoir à tirer sa révérence dans le plus bel âge ?
Salinger termine son récit sur un pied de nez d'une incroyable force poétique, dans lequel on retrouve le sens du décalage illustré dans ses nouvelles : « Un jour rêvé pour le poisson-banane », « Oncle déglingué du Connecticut »... Ici c'est "la Grosse Dame"... mais je ne vous en dis pas plus.
Franny et Zooey sont les frère et sœur de Holden Caulfield. L'atmosphère de ce roman a quelque chose du huis clos de September, à mon avis le meilleur film de Woody Allen. La révolution stylistique de Salinger est aussi important que celle de Céline et le ton aussi dérisoire qu'un Bonjour tristesse.
Pour moi ce roman est une petite merveille, un objet précieux qu'on chérit intensément, comme une part de nous-même qui nous serait rendue après un si long temps.