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Il faut qu'on parle de Kevin (Lionel Shriver)

Par Alexandra

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L'Histoire commence par un anodin "Je ne sais trop pour quelle raison un incident mineur survenu cet après-midi m'a poussée à t'écrire." et dont on ne comprend la dimension dramatique qu'à la fin du roman. Et je vous avoue dès maintenant que j'ai refermé ce livre la gorge sèche, et tendue, de celle qui accompagne toute "lecture-choc".

J'ai aimé l'intensité dramatique de ce livre. J'ai même re-pensé à ce jour où, tendant ma main à une bohémienne, celle-ci l'a prise et subrepticement relâchée, comme si elle y avait vu le diable. De son regard inquiet, j'ai conservé un malaise intérieur me disant d'une petite voix "que va-t-il donc t'arriver d'irréversible, d'incontrôlable, d'inexorable …?", comme si le destin pouvait s'imposer à nous avec une force telle que nous ne puissions qu'assister vaincus à notre défaite annoncée …. Tantôt chronologique, tantôt à rebours, Lionel Shriver nous tient en haleine et nous emmène vers le plus probable de l'improbable.

L'Amérique dépeinte ici n'est pas celle qui nourrit le "dream", c'est plutôt 'l'enfer du décor". "Il faut qu'on parle de Kevin" s'inspire du très grand émoi provoqué aux États-Unis par la fusillade du lycée Columbine (le 20 avril 1999, deux adolescents perpétrèrent un massacre avec des armes à feu, cette fusillade écolière a été la plus meurtrière de l'histoire des États-Unis jusqu'en 2007). Ce drame créa une psychose sociale sur le terrorisme et souleva de nombreux débats sur le contrôle des armes à feu, la sécurité dans les écoles, l'impact des jeux vidéo, de la musique et des films considérés comme violents aux États-Unis.

Lionel Shriver ne nourrit pas les polémiques, et laisse en l'état les nombreuses questions sans réponses certaines. L'auteur se place en tant que mère, en mère ordinaire, en mère même dévouée … Et oui, de l'eau a suffisamment coulé sous les ponts de Lacan et de Bettelheim pour savoir qu'un enfant ne s'explique pas que par sa mère …, que "maternité" rime avec "responsabilité" au même titre que "paternité" et "société" …

J'ai aimé ce livre …

Alors je m'interroge sur nos attentes contemporaines de la société …

Parlons aussi de la violence ordinaire …

Vous l'aimerez aussi …

…J'ai aimé ce livre … 

Et en tant que mère, je le dis sans ambages, cela fait peur. (…) Notre argumentation reposait sur l'idée que j'avais été une mère normale, ayant déployé une affection maternelle normale, et pris les précautions normales pour être sûre d'élever un enfant normal. Déterminer si nous avions été des victimes de la malchance, de mauvais gènes, ou d'une culture fautive relevait de la compétence de chamans, de biologistes ou d'anthropologues, mais pas d'une cour de justice. Harvey cherchait à jouer sur la crainte, latente chez tous les parents, qu'il était possible de faire absolument tout ce qu'il fallait, et de plonger néanmoins dans un cauchemar dont on ne se réveille pas. (…)

A aucun moment de lecture ne nous viennent les causes évidentes du drame; de même qu'à aucun moment nous ne sommes en mesure de nous dire que cela ne peut pas arriver chez nous. Toutes les conditions pour que le meilleur advienne étaient réunies : un couple uni d'amour, des moyens financiers, un environnement socio-culturel non carencé, même plutôt favorisé, une mère qui met entre parenthèses son activité professionnelle pour élever ses enfants, et le faire avec motivation … Où le bât a-t-il donc blessé ?

Alors je m'interroge sur nos attentes contemporaines de notre société …

Le XXème siècle s'est ouvert à la psyché, et l'individu y a gagné la responsabilité de son droit au bonheur. Revers de la médaille oblige, le XXIème consolide le pourvoi en révision de cette responsabilité individuelle grâce aux découvertes neurobiologiques. Pour caricaturer, nous découvrons que des "légumes" du XIXème , devenus des "malades mentaux" familialement mal entourés au XXème , sont possiblement victimes de prédisposition génétique et/ou de lésion cérébrale au XXIème . Maintenant que nous savons que les maladies ne sont plus purement psychologiques, que nous découvrons la complexité des interactions entre les facteurs de prédisposition génique et des facteurs environnementaux, cela devient tabou. Comment cela se fait-il ?

Et ici semble s'opérer comme une distinction entre victimes et bourreaux. Les victimes d'Halhzeimer, de sclérose en plaques, d'épilepsie, de Parkinson, d'autisme sont plus ou moins bien acceptés dans nos sociétés, car l'idée de la "maladie" rend prudent chacun. En revanche, évoquer une prédisposition génétique est très mal vécue s'agissant des bourreaux coupables de troubles du comportement aussi gravissimes que la pédophilie ou les meurtres en série comme ceux commis par ces adolescents de Columbine,.

Et pourtant … Si, à matériel génétique égal, personnalité et habileté à faire face comparable, c'était la sévérité des stress psychosociaux issus de l’environnement qui déterminerait le risque pour un individu vulnérable de développer une maladie mentale … cela pourrait revenir à dire que nos sociétés sont aussi responsables de leurs maux.

Et d'un pas, nos valeurs judéo-chrétiennes a priori culpabilisantes sont déstabilisées en partageant la responsabilité entre l'individu et la collectivité. Et pourtant, cela paraît non seulement acceptable, mais de bon augure pour notre liberté ….

Parlons aussi de la violence ordinaire …

A plus petite échelle, quand la violence s'est installée dans nos petites écoles d'Europe, les réflexions, les débats, les émois ont tous mené à la même conclusion : "la violence engendre la violence". Et de combattre la violence ordinaire à l'école en interdisant le châtiment corporel dans l'élémentaire et toute forme de sanction en maternelle. Et de prouver que la violence physique peut être, en réalité, plus dangereuse pour la santé de l'individu que la violence morale.

L'adulte ignore souvent que le sentiment d'empathie n'est pas expérimenté avant l'âge de 11 – 13 ans. S'il est nécessaire, par l'éducation, d'apprendre aux enfants l'importance de "se mettre à la place de l'autre", ils ne le ressentent que plus tard. Focalisé sur les seules choses qu'il connaît, ses sentiments et ses sensations, l'enfant doit être protégé par l'adulte pour grandir dans la fierté d'être ce qu'il est.

Et si tout ceci revenait à rappeler que toute activité intellectuelle, et notamment philosophique, doit s'adapter à la réalité, et non l'inverse ? ….

Vous l'aimerez aussi 

En laissant un instant de côté le tragique dénouement de la déviance, j'ai aimé la description sans concession des pensées – taboues – des femmes actives, libres et modernes, qui enceintes deviennent "habitées", et qui mères ne sont plus femmes. Oui, faire un enfant, c'est aussi perdre un temps un mari. Oui, donner la vie, c'est beaucoup donner de la sienne … Et la reconstruction d'un couple et d'un foyer est un projet en tant que tel, une histoire de vie. Et au nombre de divorces atteint par nos sociétés libres – et il n'y a pas à le regretter, il serait hasardeux d'affirmer que les (+) l'emportent facilement sur les (-) …

Vous trouverez dans la colonne Albums Photos des compléments concernant l'Auteur et le livre (informations pratiques et morceaux choisis).


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