(Photo LOF - oignons)
Le repas de l’Altesse du Dodin-Bouffant de Marcel Rouff comprend une purée Soubise, servie après le fameux pot-au-feu (recette extraite du livre en suite de note).
Si vous la réalisez, vous obtenez après 36 heures de cuisson en cocotte de terre sur feu électrique très bas (1,5) un concentré d’oignon plutôt qu’une purée d’oignon,
qui représente environ le 1/6° du volume des oignons crus,
qui s’écrase facilement au presse-purée à main,
de couleur caramel, bon mais un peu cuit.
La purée Soubise – et c’est là toute sa difficulté – est une « purée blanche » à base d’oignon, d’après Carème, et le Cuisinier impérial.
Au XIX° Dumas - article Purée d’oignons dit : « Si vous voulez obtenir une purée blanche à la Soubise, vous ne faites pas prendre couleur aux oignons, vous mouillez avec du jus blond, un verre de vin blanc et une chopine de crème, vous faites réduire à grand feu et passez à l’étamine »
On trouve au XIX° des recettes de purée Soubise décrite comme une purée d’oignons blancs.
(Photo LOF – encore un oignon, les photos de purée c’est pas beau, surtout celle de purée d’oignon)
Sous l’ancien régime, les variétés d’oignon étaient peu nombreuses et bien démarquées.
L’Encyclopédie de Diderot signale « les jardiniers ne cultivent que deux on trois espèces d’oignon : savoir , oignon d'Efpagne (blanc) , l’oignon commun (jaune ou rouge) & l'oignon de Strasbourg (long). …Celui d'Espagne (blanc) à la racine grosse & douce , le Strasbourg est plus amer ».
La sélection variétale attentive commence mi XIX.°
S’il s’était agi d’une purée d’oignon doux, les auteurs du XVIII° l’auraient précisé.
Donc, éviter l’oignon rouge et choisir un jaune classique, du type paille des vertus, ou jaune de Sétubal.
Pourquoi Dodin utilise-t-il des oignons nouveaux… qui ont moins de goût ?
(Photo (C) RMN / Droits réservés – détail : Charles de Rohan, Maréchal Prince de Soubise en costume couleur d’oignon – Versailles)
Soubise dit Grimod de La Reynière à propos des entrées d’exécution difficile, était mauvais général, mais excellent courtisan … sa table était renommée par sa grande délicatesse… »
Le tour de force qui l’a immortalisé était de servir la carbonnade à la Soubise, un bœuf braisé en carbonnade avec une purée blanche d’oignon.
Une carbonnade que les amateurs font aux oignons blancs.
Le bœuf aux oignons déstructuré version noir et blanc?
Souvent sa purée est appelée sauce Soubise, car liée à la béchamel, les oignons étant blanchis avant cuisson.
Dans une description des plats préférés de Napoléon à la Malmaison, on trouve des côtelettes d’agneau à la Soubise, entourées de petits oignons blancs avec au centre la purée blanche d’oignon.
La réalisation est plus facile que le bœuf en carbonnade du Maréchal.
Au XX°, c’est avec du veau qu’elle est une garniture appréciée, viande blanche et purée blanche : contre sens des modernes.
Ultime singularité : Dodin la sert seule, vous pouvez la servir sur toast, avec du vin jaune.
Bref, si par fascination pour le beau texte de Rouff vous réalisez le concentré d’oignon à la Dodin, vous serez loin de ce que la Pompadour avait dans son assiette.
(Photo LOF – et pour terminer des oignons, misérables dans un panier alors que leurs frères cuisent depuis 36 heures, supplice médiéval que ne leur aurait jamais infligé Soubise)
extrait du Dodin Bouffant de Marcel Rouff
Purée Soubise
"… saisi brusquement aux narines par un fumet où chantait toute la douceur de la terre,
fumet sucré et robuste à la fois, net et pourtant infiniment nuancé,
comme la nacre elle-même de cette chair laiteuse d’oignons dont il émanait.
Ah ! cette purée !
Le gastronome ne laissait à personne le soin de la préparer.
Trente-six heures à l’avance, il choisissait lui-même, un par un, des oignons nouveaux, de même taille, de même couleur, de même saveur.
Il les coupait lentement en tranches égales; puis dans une grande, dans une profonde marmite de terre, il disposait ces tranches, une à une, par couches superposées, et quand il en avait étendu trois, il interposait entre la dernière et la suivante une magnifique épaisseur de beurre fin, très frais.
Il n’arrêtait ce minutieux travail qu’à quelques centimètres du bord du récipient.
Il versait alors sur sa construction un demi-bol d’excellent consommé et un verre à boire d’une fine champagne vieille, très douce, et surtout pure de toute manipulation sucrée.
Puis, sur le tout, il scellait avec du ciment le couvercle de terre de la marmite afin que le parfum demeura concentré.
Et pendant trente-six heures, sur le feu très doux de branches de chêne, l’œuvre cuisait lentement, religieusement, gravement.
Les commensaux ordinaires de Dodin connaissaient cette merveille.
Mais le prince…"