Travailler plus

Anathème sur le travail : le travail est devenu l’ennemi de la vie, l’antithèse de ce que vivre devrait être, de ce que s’épanouir pourrait être. L’opposition dans les esprits est tenace. D’un côté, il y a un impératif de production, encadré, en temps limité, imposé de manière répétitive et non choisie. De l’autre, la disposition à heure libre d’un moi désirant, autonome, exempt de compte à rendre.

Que vaut cette opposition rigide, cette alternative pétrifiée entre les contraintes de l’activité sociale et le temps libre du loisir personnel ? Toute authentique activité, publique ou privée, imposée ou choisie, n’est-elle pas travail ?

Une ambiguïté pèse sournoisement sur cette notion. Parce qu’il est généralement associé au métier, le travail est chargé d’une invincible connotation négative et exclu des autres sphères de l’existence. Mais qu’est-ce qui en dehors de l’ennui ou du laisser-aller n’est pas travail ?

On assimile trop vite travail et profession, comme s’il n’y avait d’utilité que sociale, d’autorité qu’extérieure, de pénibilité qu’imposée. Mais lorsqu’on ôte à une activité son caractère socialement contraint, ne conserve-t-elle pas tous les autres aspects du métier ? Que peut-on véritablement faire sans produire et répéter, sans aucune peine ni utilité ? Les caractères social et encadré ne sont-ils pas alors des déterminations contingentes, extrinsèques au travail ?

Le pur être du travail est sa productivité, intellectuelle ou matérielle, sociale ou individuelle, utilitaire ou culturelle. Travailler consiste à générer quelque chose au moyen d’une énergie dépensée, déployée elle-même à l’occasion d’un être, d’une œuvre ou d’un objet. Tout travail est un faire, à la fois une dépense et une production, laquelle n’a de valeur que si elle est longtemps répétée et imposée. Cela peut être lire, aimer, penser, faire société…