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Le coeur cousu, Carole Martinez

Par Sylvielectures
Le coeur cousu, Carole MartinezCe livre est d'une grande puissance.
Il nous emporte dans une odyssée féminine envoûtante.
Celle qui fait la grande traversée va parcourir les chemins perdus poussiéreux et caillouteux de l'Andalousie du 19e siècle, et arriver à tirer sa charrette remplie de ses 6 enfants, le septième étant dans son ventre, jusqu'à la mer.
Là, ils prendront le bateau pour s'installer dans une nouvelle vie en Algérie.
Durant ce voyage hallucinant, toutes les rencontres seront possibles, toutes les épreuves aussi, et Frasquita tiendra bon jusqu'au bout.
Un univers aride et racorni par l'isolement, les croyances, les superstitions, la médisance et la jalousie, a pourri la vie de cette jeune femme aux dons exceptionnels de brodeuse et de couturière.
Cet art, qui est autant sa malédiction que sa bénédiction, elle le doit à une sorte de filiation matriarcale et magique qui relie les vivantes et les mortes depuis la nuit des temps.
A l'âge des premières règles, la mère initie ses filles aux prières qui guérissent et qui font parler avec les morts, et leur remet une boite magique qui, si elles savent respecter les usages leur révèle leur pouvoir et ainsi les déterminent à vie...
Frasquita, la mère en fuite dont on suit l'errance a été initiée et a reçu une boite de bobines de fils.
"Il y avait tant de bobines, tant de couleurs dans cette boite qu'il lui semblait impossible qu'il existât assez de mots pour les qualifier. De nombreuses teintes lui étaient totalement inconnues comme ce fil si brillant qu'il lui paraissait fait de lumière. Elle s'étonnait de voir le bleu devenir vert sans qu'elle y prenne garde, l'orange tourner au rouge, le rose au violet. Bleu, certes, mais quel bleu ? Le bleu du ciel d'été à midi, le bleu sourd de ce même ciel quelques heures plus tard, le bleu sombre de la nuit avant qu'elle ne soit noire, le bleu passé, si doux, de la robe de la Madone, et tous ces bleus inconnus, étrangers au monde, métissés, plus ou moins mêlés de vert ou de rouge. Qu'attendait-on d'elle ? Que devait-elle faire de cette nouvelle palette qu'une voix mystérieuse lui avait offerte dans la nuit ? Bombarder de couleurs le village étouffé par l'hiver. Broder à même la terre gelée des fleurs multicolores. Inonder le ciel vide d'oiseaux bigarrés. Barioler les maisons, rosir les joues olivâtres de la mère et ses lèvres tannées. Elle n'aurait jamais assez de fil, assez de vie, pour mener à bien un tel projet. Elle se rabattit donc sur l'intérieur de la maison."
Elle coud, elle brode, et ce qu'elle fait prend vie. Elle use de ce génie qui lui permet de vivre et fait sa renommée, comme son malheur...
Elle en deviendra sorcière et magicienne, elle fera peur...
Son mari, devenu fou, se prenant pour un coq à chaque nouvelle naissance et finissant par la jouer au jeu, la pousse à bout. Trop de misère, trop de souffrance, trop d'humiliation...
Elle prendra ses enfants et partira, ailleurs, à l'aventure, forte de ce qu'elle est et de ses pouvoirs surnaturels.
"Il y eu ce dessin qui emplit soudain les yeux de ma mère, cette maison devenue bateau, cette grande voile de crépi blanc, ce trompe l'œil maladroit et le silence des enfants, cette rue aveugle et ses fenêtres closes. Puis, dans ce vide solaire, il n'y eu plus que le grand navire, dressé là d'un coup face à elle, comme la seule porte ouverte.
Elle vit apparaître par delà le dessin. Il venait le chercher, l'enlever. Si loin de la mer, si loin de tout cours d'eau, il avait avancé par les chemins, il avait remonté les rivières à sec. Il avait élargi la petite rue poussiéreuse, toutes voiles dehors, poussé par un vent constant, et s'était échoué devant sa porte.
Un bateau à sa mesure pour embarquer sa douleur et sa joie, un bateau pour que cessât l'horreur ne ne pas s'appartenir, un bateau pour être, enfin !
L'heure du départ.
Tout le silence de la mer s'était déversé dans les rues. Tant d'eau à venir, tant de chemins à parcourir ! Et cet enfant roux qui l'embarquait dans son rêve !
Elle ne put résister à l'envie de croire à cette issue, à ce monde dessiné. ...
Carole Marinez - Lecture "Le départ"
par librairievivementdimanche
... Il lui fallait croire à ce navire, prendre son sac à couture et embarquer tous les enfants dans l'arche."
Elle ira jusqu'au bout de la terre, et arrivera au delà de l'eau.
Elle forcera la destinée de toute sa marmaille étrange et singulière, poussée par un désir tenace et magnifique jusqu'à en oublier la dernière à naître qui pointe son nez, bientôt, et qu'elle nommera Soledad.
Cette dernière de la fratrie fantasque aux pouvoirs magiques semble destinée à la solitude, elle sera initiée, mais n'aura pas de fille.
Elle se vouera à l'écriture, et par ce biais rompra le fil de la tradition et de la transmission. Elle n'apprendra pas les prières à sa nièce, non plus qu'elle ne lui donnera de boite...
"Combien de temps ai-je rebroussé chemin, reprenant à l'envers le fil du temps, afin de retrouver les traces laissées par ma mère trente ans auparavant dans le sable de ce pays?[…] Je n'ai rien volé à ma nièce qu'une douleur promise. La boîte restera au désert, je ne la lui remettrai pas à Pâques comme le veut la tradition. Elle ne passera plus de main en main. Sa course s'arrête ici, à mes pieds, dans l'immensité absurde de cette étendue blanche. Ce cahier décousu où reposent les débris rêvés de nos existences, je le rends feuille à feuille au vent dont il est issu… Les pages s'envolent une à une … Je n'ai plus qu'à gaspiller la dernière des prières du troisième soir. Alors, se lèveront les morts pour la dernière fois avant de regagner le néant à tout jamais et le fil sera coupé
Et maintenant, que, par ma prière surgisse la voix des mères:
Mon nom est Frasquita Carasco. Mon âme est une aiguille. Tes feuilles lancées au désert, les voici réunies, reliées dans un livre que tu pourras refermer à jamais sur mon histoire. Soledad, ma fille, sens ce vent sur ton visage. C'est mon baiser. Celui que jamais je ne t'ai donné. "

Elle sera la narratrice de cette histoire foisonnante, et nous transportera loin au cœur du désir féminin.Elle nous racontera l'épopée de sa mère et de ses frères et soeurs en nous disant des contes assemblés en saga familiale construisant ainsi un roman fleuve.
Ce texte foisonnant est beau, poétique, gonflé d'amour, de chair, de sang, de souffrance ,de larmes et de rêves.
Il est cousu à petits points serrés, minutieux, qui se déploient dans de multiples détails colorés et forment une fresque étonnante d'originalité et d'humanité.
Si ce n'est pas encore fait, ouvrez ce livre :
"Écoutez, mes sœurs ! Écoutez cette rumeur qui emplit la nuit ! Écoutez... le bruit des mères ! Des choses sacrées se murmurent dans l'ombre des cuisines. Au fond des vieilles casseroles, dans des odeurs d'épices, magie et recette se côtoient. Les douleurs muettes de nos mères leur ont bâillonné le cœur. Leurs plaintes sont passées dans les soupes : larmes de lait, de sang, larmes épicées, saveurs salées, sucrées. Onctueuses larmes au palais des hommes !"
Ce roman a reçu le prix étonnants voyageurs,
une note de lecture du CNL,
un bel article d'Anne Crignon, sur BiliObs.com,
un autre de Marianne Payot, sur TV5Monde,
Une interview de l'auteur sur web TV.com
Hubert Artus écrit dans son cabinet de lecture : "Un récit à plusieurs niveaux et à plusieurs thèmes. Un récit cousu, élégant, discret dans l’hommage et intelligent dans la puissance."
C'est un coup de cœur sur Buzz littéraire, le cabanon, Le merle moqueur,Tournez la page.
Dda a beaucoup aimé sur biblioblog, Mademoiselle Gima aussi, comme Vanden, Emeraude, Pensées de ronde, L'Anatra Littéraire, Elfique, la môme poison qui rebondit sur la lecture de l'Elue de Lois Lowry et le film "Brodeuses" d'Eléonore Faucher.
leiloona, clarabel, AliAnna, Sylvie, Amanda, Bellesahi, Rana Toad, Sylfaen sur critique livre.fr ne sont pas restées en reste et sont unanimes pour dire leur plaisir à lire ce roman qui sort du lot.

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