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Vendredi moins un

Publié le 13 novembre 2008 par Menear
A un jour près on était vendredi 13 mais non. Le temps se rétracte, peut-être parce que sur mon écran décoré de tire-bouchons, je passe mon temps à rentrer les paramètres du lendemain pour pouvoir saisir les données de la veille, c'est à dire du jour même. Alors je me crois le jour d'après. Vendredi 14. Et non 13. Presque.
Je sors en trombe à 16h29, une minute de gagnée rapport aux vingt de perdues hier, heures sup régulières mais non payées bien sûr alors, oui, je sors en trombe une minute plus tôt, et sans scrupule avec ça, histoire de pouvoir attraper mon 16h37, mollets durs sur béton sec, sinon c'est 17h07 et ça fait rentrer plus tard. En m'engouffrant dans le train pile à l'heure, je croise la silhouette avachie d'une voix qui dit les filles de Paris elles sont pas mal mais elles sont trop superficielles, sa voix tracée, son reflet biaisé, à parler comme chante Abd al Malik entre deux sièges, et puis le train s'extrait du sous-sol alors j'arrête de le voir. Lorsqu'on émerge passée Gare de Lyon, je vois sur le ciel autour s'étaler la plus belle des lumières de journée close. Quasi. Lumière granulée, lumière saisie entre les voies qu'on prend. Quelque part, je ne sais pas trop où, entre deux pages des Mains gamines, avant de voir basculer le soleil couchant plus près de mon ouest mais après avoir rangé mon mp3 dans mon manteau : des reflets dorés-progressifs, au fil de la courbe, transforment les façades des HLM barrées en papier doré pour boite de chocolats de noël. Cinq secondes, ça dure, cinq secondes pas plus.
Le matin je m'étais levé avec Madeleine dans la tête qui n'a plus voulu en sortir. En slalomant sur mon quai, avant mon 7h52, je me suis vu échanger la vie de gens abstraits pour sauvegarder cette chanson ou toutes les autres si jamais un cataclysme fictionnel voulait que. Ensuite je me suis vu échanger la vie de mes collègues contre ces chansons que j'aime et dans cette vision trop fraîche je n'hésitais pas. Mais une telle balance n'existe pas, je dois toujours me farcir mes collègues, gentils au demeurant, mais nous n'avons rien à voir les uns avec les autres c'est tout, alors je tombe sur mon siège, toujours le même, places larges devant l'escalier pour étaler mes genoux, et les portes se referment dans leur bip et je ne sors pas Les mains gamines, je ne me sens pas de lire, juste écouter Brel parce que le truc est parti, et la lumière dehors est une lumière du matin brumé par la buée des vitres. Il n'y a rien à voir le long des voies à l'aller.
A midi je ressors mes salades-sous-vide à deux euros, les mêmes que je m'engloutissais déjà au Mans, pris entre mes murs de l'époque, les murs du collège Prévost, et, exactement comme durant ces mois, je me mets à lire le Désordre, non plus la version Publie.net à présent mais bien le fil actuel. Quelque part, c'est comme si l'esprit du Désordre était pour moi lié à ces salades-sous-vide, parfois sans saveur, parfois surprenament mangeables. Rien à voir pourtant, Philippe de Jonckheere étant rarement indigeste, simplement la superposition des sensations et saveurs qui est à l'œuvre dans l'inconscient culinaire de mes lectures méridionales.
Puis revoilà l'heure de quitter à nouveau, et cette fois-ci, précisément parce que c'est la deuxième fois que l'instant arrive, que la sauvegarde me permet de reprendre l'agencement des choses, je décide de couper nette la minute d'hésitation de 16h28, je quitte une minute plus tôt que la première fois, une minute plus tôt que la minute plus tôt précédente, je quitte à 16h28, et mes mollets calmes sur les trottoirs droits peuvent souffler, j'ai mon train quoiqu'il arrive, je le sais bien, je le sais car je l'ai déjà vécu, la boucle est bouclée et les paradoxes temporels, en réalité, n'en sont pas, le temps malléable pendant que je le pense, pendant que je longe les jardins des Halles, avant de me laisser engloutir par dessous.

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