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"Les mystères de Rapa Nui"

Par Stf
Source: Les echos.fr 14/11/08

"Aujourd'hui encore, l'île de Pâques est l'acmé du voyage, une destination ultime, confetti de lave perdu au milieu du Pacifique... Dites Rapa Nui, le nom que lui donne ses habitants, et l'énigme de ses Moaïs se dresse, toujours aussi troublante.

ALTIER ET MAJESTUEUX, LE MOAÏ DE HANGA ROA SE DRESSE FACE À LA BAIE DE COOK, SUR LA CÔTE OUEST DE L'ÎLE.

Il y a tout juste 222 ans, L'Astrolabe et La Boussole commandés par La Pérouse s'ancraient face aux statues géantes de l'île de Pâques, à plus de quarante jours de mer du royaume de France. Aujourd'hui, il faut encore 20 heures de vol pour rejoindre depuis l'Hexagone, Rapa Nui (qui signifie " la grande lointaine " en maori), l'île la plus éloignée au monde de toute terre : les côtes chiliennes sont à 3 700 kilomètres et Tahiti à 4 000. Le pied à peine posé sur l'arpent de terre volcanique, impossible d'échapper à l'étrange magnétisme émanant des lieux, le même qui dut étreindre les premiers explorateurs.

Souvent décrite comme un caillou désertique, l'île de Pâques se révèle végétale avec ses bouquets d'eucalyptus, ses coquelicots, ses mimosas, ses bouquets de cocotiers. Et bien sûr, il y a les Moaïs, monumentales statues de basalte : c'est pour elles et leurs mystères que l'on vient jusqu'ici. Uniques au monde, toujours énigmatiques aux yeux des scientifiques, elles valent à l'île son classement, depuis 1995, au Patrimoine mondial de l'Humanité.

TONGARIKI, L'AHU LE PLUS MONUMENTAL DE L'ÎLE.

La carrière de Rano Raraku, à flanc de cratère, en est le site emblématique : 900 statues ont été taillées ici entre le XIIIe et le XVIIe siècle. Assises, debout, couchées, d'une taille moyenne de quatre à cinq mètres, elles peuvent, pour les plus récentes, atteindre 21 mètres pour 270 tonnes. Premiers frissons dans le dos au milieu de ces 400 faciès encore disséminés dans la carrière, leurs regards perdus vers l'horizon. Quelques uns des 5 000 chevaux qui vivent sur l'île, pour 4 000 Pascuans, s'en moquent, gambadant entre les monolithes de pierre. Le guide, force de la nature aux avant-bras tatoués, parle des ancêtres, ainsi statufiés et honorés par les familles. Et évoque les interrogations qui hantent encore les spécialistes. Certaines sont en passe d'être résolues comme le mode de transport de telles masses vers les Ahu, plateformes cérémonielles construites sur la côte. L'utilisation de rondins, l'île, autrefois très boisée, a sans doute permis de faire rouler les monstres de pierre. Pourtant, des questions subsistent.

Les statues ont-elles voyagé couchées ou debout ? Et pourquoi ont-elles été abandonnées au début du XIXe ? La tradition orale n'est que de peu de secours : elle a pratiquement disparu, et cette perte de mémoire, véritable amnésie collective, est l'une des plus tenaces énigmes de l'île et entretient sa légende. Impossible ainsi de connaître les origines de cette civilisation de si peu d'âmes. La langue pascuane est proche de celles de l'Asie du Sud Est. S'y retrouvent aussi des mots indiens d'Amérique du sud. Les hiéroglyphes, présents sur toute l'île, encore intraduisibles, ne ressemblent à rien de connu... Les Moaïs eux-mêmes s'apparentent aux tikis polynésiens. À en perdre son latin...

UNE LANGUEUR TOUTE POLYNÉSIENNE RÈGNE SUR LES PLAGES, COMME CELLE D'ANAKENA.

Le sentiment d'étrangeté ne se dissipe pas lorsqu'on poursuit l'exploration de l'île. À l'ouest de Rano Raraku, les quinze Moaïs de Tongariki, le site le plus prestigieux de l'île, sont encore plus impressionnants. Restaurés entre 1992 et 1996, ils tournent le dos à l'océan Pacifique, protégeant leur clan du " mana ", le pouvoir surnaturel. On scrute les yeux vides, les pukao (chapeaux) de tuf rouge de ces géants que l'on dit capteurs d'énergie céleste. Ce qui a d'ailleurs conduit à des hypothèses les plus fantaisistes pour expliquer leur présence : le guide évoque ainsi la venue d'extra-terrestres, alors que la voiture longe l'aéroport de Mataveri, l'une des pistes d'atterrissage les plus longues du monde, construite par la Nasa pour accueillir une éventuelle navette en difficulté.

Le tourisme n'a pas eu raison de la nonchalance pascuane

OUBLIÉS SUR LES FLANCS DU VOLCAN RANO RARAKU, CES MOAÏS N'ATTEINDRONT JAMAIS LEUR PLACE PRÈS DE LA MER.

Les mystères ne se dissolvent pas davantage au cratère de Rano Kau, réserve d'eau de l'île. Même s'ils semblent laisser indifférents les enfants qui se baignent au milieu de l'extraordinaire excavation (deux kilomètres de large et 120 mètres de profondeur) : un immense chaudron de sorcière où la roche effondrée laisse apparaître, au loin, l'océan Pacifique. Ici se cachent les ruines du village cérémoniel d'Orongo. Les pétroglyphes y racontent l'Homme-Oiseau, mythe fondateur de l'île. Chaque printemps, jusqu'à la fin du XIXe siècle, les représentants des clans locaux se rendaient sur l'îlot voisin au milieu des requins et des rouleaux pour y chercher un oeuf manutara, une petite sterne noire. Le premier revenu devenait roi de l'île pour une année...

Sa capitale, Hanga Roa, a connu un développement urbain harmonieux malgré une explosion du nombre de visiteurs : 4 800 en 1986 à 40 000 aujourd'hui. Le succès du film Rapa Nui de Kevin Costner y a fortement contribué. Le bourg s'articule autour de trois rues parallèles, de jardins de flamboyants et d'hibiscus. Les voyageurs y sont toujours objets d'une curiosité bienveillante. Au marché, les mamas vendent fruits, fleurs et légumes et artisanat local dont des miniatures de Moaïs que l'on imagine mal dans un salon parisien. Sur le port, les restaurants accueillent touristes et locaux dans une ambiance toute polynésienne, nonchalance îlienne, températures sub-tropicales et océan à perte de vue aidant.

À Anakena, que surveillent quelques Moaïs, la nature touche au rêve tropical : plage de sable blanc bordée de cocotiers, eau et ciel d'une rare pureté, baigneurs intrépides. Le moment de se remettre de ses émotions ? Pas tout à fait : ce lieu est l'un des plus sacrés de l'île. C'est ici que débarquèrent, dit-on, les premiers habitants de l'île, marins du Pacifique guidés par Hotu Matua, ancêtre de légende des Pascuans... Les mythes ne meurent jamais."

PAR JEAN-FRANÇOIS GUGGENHEIM
PHOTOS GUILLAUME DE LAUBIER ; ILLUSTRATION CARLA TALOPP

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