Magazine Beaux Arts

Rire jaune ?

Publié le 19 novembre 2008 par Marc Lenot

2008-11-salomon008.1227111332.JPGBien sûr on sourit du ‘roi des indiscrets’, ce grand bourgeois juif allemand ruiné qui devient photographe des puissants de ce monde. L’astuce et l’ingéniosité d’Erich Salomon (au Jeu de Paume Sully jusqu’au 25 janvier), sa capacité à se fondre dans le décor, à se faire oublier, à devenir quasiment invisible pour prendre des photos spectaculaires des dirigeants politiques français, allemands, anglais dans les années 1928-1938, nous impressionnent. En apparence, il appartient au même monde, il obéit aux mêmes codes, il projette la même image, habit et bonnes manières. Son indiscrétion lui permet de révéler une vérité de ses sujets; ses instantanés, pris sur le vif, ne permettent pas la pose, la posture, ou plutôt, si posture il y a, elle n’est pas destinée au photographe, mais au monde, aux électeurs, aux spectateurs et Salomon s’évertue à la prendre en défaut.

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Il a pour ses sujets une bienveillance, une complicité, une connivence même. Il nous montre ce monde humaniste, cultivé de l’entre-deux-guerres dont Aristide Briand est peut-être la figure la plus marquante. C’est l’époque où les problèmes du monde se résolvent dans le coin d’un salon d’hôtel, entre hommes du monde, justement, dirigeants ventripotents qui fument le cigare et plaisantent tard dans la nuit. Salomon aime le spectacle sous toutes ses formes, le parlement, le Palais des Nations à Genève (ci-contre Tribune du Public, 1928) le tribunal, le concert, l’opéra, partout où des hommes jouent un rôle, distrayant ou tragique, devant d’autres hommes. Il sait aussi nous montrer les coulisses, l’attente, l’envers.

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Certes, il n’est pas vraiment des leurs, il fait seulement comme si : lui n’a pas de pouvoir, pas d’influence. Alors il essaie de se faire une place, il se fait connaître comme photographe, il publie des photos retentissantes et met en scène leur réception (ainsi de la photo interdite de la High Court), il organise son marketing. L’exposition Ilford (vue ci-contre) en est un parfait exemple : mise en scène grandiloquente de ses photos, avec dans le même cadre le contact initial et un grand tirage recadré, retouché, ennobli; c’est un passage du statut de photoreporter à celui de presque artiste.

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Mais Salomon n’est pas vraiment des leurs, mais ce monde humaniste va s’effondrer, mais on va désormais rire jaune. Dans cet hôtel de Lausanne, dans l’antichambre de l’appartement du Premier Ministre britannique, le chapeau et la canne du diplomate allemand, sur la tablette de gauche ne se mêlent plus à ceux des Français, à droite. On peut en sourire, mais on sourit moins de cette vue, tout en haut,  du parlement allemand, avec, à l’extrême droite, tous les députés nazis en uniforme de SA. En 1933, Salomon se réfugie en Hollande, en 1944 il est gazé à Auschwitz. Tout cela est-il prégnant dans ses photos indiscrètes ?

Photo 2 courtoisie du Jeu de Paume. Autres photos de l’auteur (1 et 4 d’après un catalogue; cliquez sur les photos). Archives Erich Salomon / Berlinische Galerie, Landesmuseum für Moderne Kunst, Fotografie und Architektur, © Bildarchiv Preußisher Kulturbesitz.


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