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Une ligne, d'Anne Parian

Par Florence Trocmé

Parianuneligne

Une Ligne, ce bref recueil d’Anne Parian, témoigne d’une entreprise éditoriale à la fois discrète et exceptionnelle, celle qu’Éric Pesty a mise en œuvre depuis trois ans à Marseille. Cet objet a une grâce certaine, et témoigne d’un souci de la lettre, du papier, de la typographie, des couleurs et du format qui ravit les yeux et les mains, le visuel croisant le mental, le visible donnant forme à un sens toujours distingué. Cette élégante plaquette renoue ainsi avec l’esprit de certaines aventures éditoriales des années soixante-dix : on pense, bien sûr, à Orange Export Ltd ou encore à Fourbis.

Une ligne (Anne Parian) est un ensemble textuel qui fonctionne comme un duo intérieur et intériorisé. Sous-titré modestement essai, il est composé sur une alternance de proses et de poèmes, configurés sur le mode bas/haut, gauche/droite, prose/vers, essai/invention, la pliure centrale du livre réfléchissant les deux voix l’une dans l’autre qui, certes, s’interpellent, se répondent, mais surtout, murmurent en continu, tout en s’accordant des pauses et des silences matérialisés par les blancs qui assurent un équilibre fictionnel entre plein et vide. Voix doubles, voix dédoublées ? Les deux « je » en miroir proposent deux expériences du monde, du corps et du désir fait langue qui se superposent et vibrent dans la résonance l’une de l’autre. Si, dans les premières pages, le vous et le tu font des apparitions certaines mais fugaces, le dispositif qui suit accorde une place centrale à un vous qui, de radicalement Autre, aimé dans la distance et le respect, se rapproche d’un moi aux contours incertains. « Laisser venir la voix dedans », c’est surprendre, à la surface du texte, un vous qui n’a plus rien d’extérieur. Vous est un autre, et la ligne convoquée par le titre est, sans doute, lien et trace qui conjoignent les extrêmes. Les pôles amoureux en viennent à se confondre alors que la langue d’Anne Parian est toujours plus précise, discriminante, ciselée. Les mots, découpant la posture amoureuse, révèlent des frontières étanches. Chercher la phrase, pour certains, chercher le mot, l’expression juste — « Je cherchais une forme pour ce qui nous ressemble, une allure, phrase nue reprenant mon bégaiement, votre amour, approchant votre langue » : ces projets dessinent ici une ligne qui est aussi une crête, à savoir le dessin d’un voyage, et le trait d’un partage qui blesse, telle l’arête supérieure d’une lame, attentes, habitudes et postures amoureuses (l’italique offert à « mon âme » est-il l’expression d’une fusion souhaitée ou le reflet d’un égotisme inquiet ?). Une ligne, enfin, puisque la direction ici conduit de la prose au vers, cette forme audacieusement hors ligne, supérieure et cependant soumise, elle aussi, à une tension qui lie les mots dans un espace autrement mélodique. Nouvelle métamorphose, la ligne musicale s’invente en tracé pictural : le dessin sera-t-il en mesure de souligner la différence des sexes, des chairs et des volontés ?

Le désir de ligne compromet les postures et les voix éculées. Cette ligne, une parmi tant d’autres possible, est le risque d’un amour, le risque de l’amour choisissant de se confronter à l’écriture, improbable quant au livre, mais nécessairement localisée entre moi et l’autre, quelque part à la naissance du Livre.

 

contribution d’Anne Malaprade

 

Anne ParianUne Ligne
Eric Pesty Editeur
9 €
sur le site de l’éditeur

 

 


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